
Un changement est en marche. On sent les frémissements d'un renouveau des mentalités et des comportements en matière d'achats et de consommation, d'empreinte écologique et de modèle social et économique vers lequel nous tendons. Soyons acteurs d'une autre société. Pour les fêtes aussi, manifestons nos valeurs.
Au moment où j'écris ces lignes, le 23 novembre 2011, mon quotidien est caractérisé par 527 jours sans gouvernement en Belgique – un record – ; une crise infernale des dettes souveraines – du jamais vu depuis la seconde guerre mondiale – ; des banques coulent ou vacillent – pourtant toutes affichent encore haut et fort leur certificat de réussite des sacro-saints «stress tests» – ; une concentration atmosphérique de gaz à effet de serre sans cesse croissante – des niveaux jamais enregistrés au cours des 540 000 dernières années – ; et des températures qui seront cette année peut-être les plus élevées jamais mesurées en Belgique et dans le monde depuis la première moitié du 19e siècle.
Jusqu'il y a peu, même en pleine crise des subprimes, tout allait bien. On martelait que tout était sous contrôle et que le «système» allait s'autoréguler. On lançait que ce soit-disant réchauffement climatique n'était que peur agitée par des Cassandre écologistes de gauche en manque de reconnaissance. On disait qu'il était nécessaire, pour relancer la croissance, de consommer...
Mais consommer quoi ?
À la veille de Noël, que mon vieux dictionnaire du début des années 1950 définit comme la « fête de la nativité du Christ », réfléchissons vigoureusement à l'avenir que nos choix de consommation nous préparent.
Il y quatre ans, en compagnie de Dominique Perrin, j'analysais un catalogue des cadeaux de Noël proposés par les hypermarchés Carrefour1.

Ce volumineux folder imprimé sur un luxueux papier glacé était bien sûr alléchant et titrait d'emblée « Merveilleux Noël et joyeux petits prix ». Il est fort probable qu'il en soit de même pour la version 2011... Mais qu'y trouvait-on exactement ? Pêle-mêle : un réveil lumière, un ramasse-miettes électrique, une machine à cappuccino « full automatique », un frigo américain, une perceuse sans fil, un « massager design », un Père Noël lumineux, un sèche-cheveux lisseur et un thalasso pieds. Soit, exception faite du repasse-limaces, peu ou prou les mêmes choses que chantait Boris Vian dans « La complainte du progrès » il y a plus d'un demi-siècle.
Nous avions ensuite analysé la provenance de ces produits de « première nécessité ». Il apparaissait que le fameux label « Made in China » représentait un peu plus de 80% des produits proposés. Le reste provenant, à parts égales, d'Asie du Sud-Est et d'Europe. Et absolument rien de Belgique.
Dans le même temps, nous apprenons2 que chaque Belge émet de l'ordre de 13,8 tonnes de CO2 par an, alors qu'un Chinois est responsable des émissions annuelles de 5 tonnes de CO2. Mais ces chiffres sont biaisés car ils ne considèrent que les émissions «cadastrales» des pays, à savoir uniquement les émissions dues à l'utilisation des produits. Par exemple, l'électricité nécessaire pour l'utilisation du ramasse-miettes électrique. Par contre, cette comptabilité ne tient pas compte des émissions de gaz à effet de serre dues à la fabrication de ces produits superflus, tel que le ramasse-miettes électrique.

Ainsi, en considérant les «flux» de CO2, il appert que chaque Chinois exporte 1,5 tonne de CO2 par an alors qu'un Belge importe annuellement (flux net) des biens principalement « Made in China » à hauteur de 5 tonnes de CO2.
Au final, un Belge n'est donc pas responsable de 13,8 tonnes de CO2 par an, mais bien de 18,8. Au contraire, le Chinois verra ses émissions passer de 5 à 3,5 tonnes de CO2 par an. Et il ne faudra pas 2,8 Chinois pour atteindre les émissions d'un Belge, mais bien 5,4 Chinois...
En consommant de la sorte, nous ne faisons donc que profiter d'un système «low cost» mondialisé dont les externalités négatives sont énormes, et pas seulement du point de vue des gaz à effet de serre...
Alors même que ce système montre ses limites, vacille et s'effrite chaque jour un peu plus, il nous faut opter pour un changement de paradigme, une modification comportementale, une transition écologique et économique.
Ce changement nécessaire est en route depuis plusieurs années. Et comme le disait Carlo Petrini, fondateur du mouvement Slow Food, ce 16 novembre lors d'une conférence à l'Université de Liège, « sous la cendre, il y a la braise, il faut souffler pour que le feu [comprenez le renouveau] prenne ».
Pour les fêtes, soyons imaginatifs, consommons (et donc produisons) moins, mieux et autrement. Investissons dans des choses qui ont du sens. Ne soyons pas obsédés par « le prix des choses » mais donnons plutôt de la valeur à des marchandises durables et à ceux qui les produisent. Profitons-en pour faire (re)vivre les artisans et les créateurs, pour soutenir les producteurs locaux de fruits et légumes, pour recréer de l'emploi local. Plus que jamais, c'est la multiplication des actions locales qui pourra influer sur cette crise globale. Laissons derrière nous cette société « low-cost » et soyons acteurs et créateurs d'un autre monde !
Et si nous y arrivons sans y être contraints, nous pourrons célébrer un autre Noël. Car mon vieux dico me donne une autre signification du mot Noël : « Cri que poussait autrefois le peuple à l'occasion de tout heureux événement politique ». Nous y sommes presque. Allons-y.
Pierre Ozer
Décembre 2011

1 Pierre Ozer et Dominique Perrin, 2007. Les chinois croient au Père Noël dans Le Soir, 13 décembre 2007, 20. 2 Pierre Ozer, 2011. Social and environmental impacts of climate change: In the absence of mitigation, will we be able to adapt? in Proceedings of the 1st International Conference on Energy, Environment and Climate Change.