Un autre Noël est possible

Irrités ou déçus par les célébrations modernes des incontournables échanges de cadeaux au pied du sapin, de plus en plus de citoyens tentent de trouver des alternatives à la surconsommation, ou à tout le moins d'en atténuer les impacts écologiques et sociaux négatifs qui peuvent en découler. Une de ces pistes consiste à effectuer des achats « éthiques » auprès d'entreprises sociales. Comment ces dernières s'en sortent-elles pour répondre à ce défi ? Une nouvelle manière d'appréhender les fêtes de fin d'année est-elle en train d'émerger ?

© Christos Georghiou - Fotolia.com
sapin© Christos Georghiou - Fotolia.com

De nos jours, Noël est surtout un événement qui sature les réseaux gsm, qui pulvérise les records de transactions Bancontact et qui affole les chapons et les dindes. Quelle belle hétérogénéité pour une seule journée ! Et pourtant, il n'en a pas toujours été de la sorte. Jadis, les fêtes de fin d'année n'étaient pas une période profane d'apologie de la surconsommation. Bien que ce soit difficilement concevable aujourd'hui, la fête de Noël revêtait initialement une connotation principalement religieuse. Mais l'Avent, les messes de minuit et les crèches, ce n'est plus très tendance... Alors les rituels de repas et d'échange de cadeaux ont progressivement rattrapé puis pris le pas sur le caractère religieux de la Nativité.

Mais pourquoi donc cette obstination de la surconsommation frénétique à l'approche des fêtes ? Un vieux réflexe pavlovien ? Une tendance saisonnière à jouer au mouton de Panurge ? Des campagnes marketing particulièrement efficaces ? Ou tout simplement un besoin bien naturel de se faire plaisir ?

De nombreuses alternatives à la surconsommation s'offrent pourtant à nous. Entre la solution radicale et un peu pingre du refus pur et simple d'entrer dans un système de cadeaux (solution présentant le douloureux désavantage du hara-kiri social), les systèmes de « cacahuètes »1 pour éviter que le volumineux tas de cadeaux ne cache entièrement le pauvre sapin, les cadeaux immatériels et les cadeaux de seconde main, ce ne sont pas les options qui manquent.

Il existe encore une autre possibilité, qui connaît un succès croissant : l'achat éthique. Si on ne souhaite pas consommer moins, au moins peut-on consommer mieux. Comme bon nombre d'actes d'achat renferment également un choix politique, il suffit parfois de « voter avec ses bottes de Noël » et de choisir adroitement son magasin pour ne pas faire d'infidélité à l'esprit solidaire de Noël. Effectuer ses emplettes de fin d'année dans une multinationale du cadeau ou dans une boutique de commerce équitable, ce n'est pas pareil... Et ça a inévitablement un impact sur le choix de société que l'on souhaite soutenir.

Penchons-nous ici sur les achats éthiques effectués auprès d'entreprises sociales, qui sont particulièrement bien adaptées à la commercialisation de ce type de produits. En effet, les entreprises sociales sont des organisations qui jonglent continuellement entre leur dimension sociale et leur dimension économique. Leur dimension sociale se marque notamment par un objectif explicite de service à la communauté et une distribution limitée des bénéfices, alors que leur dimension économique implique entre autres une activité continue de production de biens et/ou de services et un niveau significatif de risque économique.2 Bref, les entreprises sociales ont décidé de mettre l'humain au centre de leurs préoccupations. Si elles font le choix de se passer d'actionnaires à qui distribuer des dividendes, cela ne les empêche évidemment pas de développer une activité marchande afin de parvenir à l'équilibre budgétaire. Elles peuvent prendre différentes formes statutaires ; les plus courantes étant les statuts d'asbl et de coopératives. Les produits vendus par ces organisations sont généralement moins connus que ceux de leurs homologues à but lucratif car leurs campagnes de publicité sont plus confidentielles et parce que leurs échoppes ne se situent pas non plus dans les grandes artères commerciales. Cependant, en acceptant de sortir des centres commerciaux, il est pourtant assez aisé de dénicher ces commerçants un peu particuliers.3

Afin de braquer davantage les projecteurs sur ces initiatives, l'asbl Les Grignoux, qui gère les cinémas Le Parc, Le Churchill et Le Sauvenière, a décidé de mettre sur pied un « Marché de Noël alternatif ». Il a pour but de faire découvrir au grand public de nombreuses entreprises sociales liégeoises, qui viendront présenter leurs produits et leurs projets dans le hall du cinéma Sauvenière au cours du week-end précédant Noël. À titre exemplatif, voici un rapide portrait de deux de ces entreprises sociales, qui vendent des produits pouvant faire office de cadeaux de Noël.

Barricade

La librairie Entre-Temps est une des entreprises sociales auprès de laquelle dénicher un livre à mettre au pied du sapin. Elle est située dans le bas de la rue Pierreuse et est gérée par l'asbl Barricade. Comme les rentrées liées à la librairie servent à financer les projets d'éducation permanente de l'asbl, acheter un livre là-bas permet indirectement de soutenir des actions culturelles alternatives. « Notre librairie a ceci de particulier qu'une gamme tout à fait classique (romans, livres pour enfants, etc.) y côtoie une littérature plus engagée » nous confie Jérôme Becuwe, un des libraires. « C'est donc une librairie généraliste qui propose un peu de tout mais qui ne vend pas n'importe quoi. Notre comité de sélection cherche à proposer des livres de qualité, qui plaisent et qui poussent à la réflexion » poursuit-il. La période des fêtes de fin d'année est une période faste pour toute librairie. Pour Entre-Temps, elle est également propice pour toucher un public plus large. « Partant d'une clientèle initiale composée d'habitués et de militants, nous touchons de plus en plus une clientèle variée, qui peut tout aussi bien venir pour la dernière BD qui plaira aux enfants ou pour un livre de cuisine à offrir à son conjoint. C'est une réelle satisfaction parce que ça prouve que le bouche-à-oreille commence à fonctionner, ce qui nous rassure sur le degré de satisfaction de nos lecteurs » se réjouit Jérôme Becuwe. Mais cette diversification du type de clientèle est quelque peu freinée par le fait que la librairie ne se trouve pas dans une rue à fort passage. Pour compenser cet inconvénient, Entre-Temps joue la carte de l'accueil. « Au fond » conclut-il « ce qui nous différencie vraiment des hyper-librairies, hormis le fait que nos rentrées servent à soutenir les projets culturels de l'asbl, c'est la convivialité. Comme les prix des livres sont similaires dans tous les points de vente, nous avons choisi de nous démarquer en offrant la possibilité à nos clients de se sentir ici chez eux. Le fait de pouvoir feuilleter tranquillement un bouquin dans un bon fauteuil en buvant un café et en discutant avec le libraire, c'est aussi rare qu'unanimement apprécié. »


 

1 Le principe de la « cacahuète » consiste à tirer au sort, quelques semaines avant la fête, le nom d'un autre invité et d'offrir un cadeau uniquement à cette personne.
2 Adapté de la définition d'entreprise sociale du réseau européen EMES
3 La plupart de ces commerçants liégeois font partie de  « la Guilde des commerçants pour un développement durable et solidaire » (www.laguilde.be)

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