Nonobstant ce héros solitaire aux allures de dandy, les poètes et romanciers se réclamant peu ou prou du symbolisme font cependant preuve de sociabilité. Les plus anciens se réunissent chaque semaine chez leur maître, Mallarmé : ce sont les Mardis du 89 rue de Rome à Paris. On y reconnaît, entre autres, Charles Cros (1842-1888) et Henri de Régnier. La génération plus jeune, qui a eu une vingtaine d'années vers 1880-1890 et pour qui les cafés sont des lieux de rencontre avenants, est représentée par les noms suivants : Charles Rodenbach, Émile Verhaeren, Jean Moréas, Remy de Gourmont, Albert Samain, Gustave Kahn, Jules Laforgue, Charles Van Lerberghe, Maurice Maeterlinck, Max Elskamp, Henri de Régnier, Pierre Quillard, André Fontainas, Marcel Schwob, Paul Claudel, André Gide, Pierre Louÿs, Paul Valéry, Charles Guérin, Jean de Tinan.
Tous ces hommes de lettres, poètes pour la plupart, écrivent dans des revues dont la plus célèbre aura été Le Mercure de France, « la concentration sinon la synthèse de la littérature nouvelle » (Remy de Gourmont, 1904). Mais, outre La Revue indépendante où la nouveauté côtoie la tradition et La Vogue qui eut une influence considérable, on ne peut passer sous silence La Revue blanche, laquelle entendait fédérer les anciens et les jeunes du mouvement et qui, dans l'Affaire Dreyfus, prit clairement le parti du capitaine injustement accusé. Ceux qui y publient, et ils sont nombreux, ont volontiers recours au vers libre, sans conteste une invention du symbolisme, signe tangible aussi de la libération des contraintes formelles qu'il engendre. Le poème en prose, par ailleurs, a leur faveur. Ces innovations montrent à quel point ils privilégient le décloisonnement et l'affranchissement, pratique multipolaire dont l'effet évident sera de favoriser la porosité entre les formes artistiques.
Cet esprit d'ouverture est répercuté dans Les 100 mots du symbolisme où l'exploration sémantique, menée avec rigueur et densité, ne se limite pas au seul champ littéraire. Il y est mentionné, par exemple, que Pelléas et Mélisande (1892) de Maurice Maeterlinck (1862-1949) est mis en musique par Claude Debussy (1862-1918), tandis que La Bonne Chanson (1870) de Verlaine l'est par Gabriel Fauré (11845-1924). Ces étroites collaborations entre musiciens et poètes ont été facilitées par la wagnérophilie qui saisit Paris dans le courant des deux dernières décennies de la fin du 19e siècle : le célèbre hôte de Bayreuth, dont la musique est à la fois suggestive et incantatoire, a permis de réconcilier dans la capitale française le théâtre, la danse et la musique. Et tout cela, au nom de la poésie.

Entre plume et pinceau, les liens se sont souvent aussi révélés étroits. Paul Aron et Jean-Pierre Bertrand n'ont pas négligé cette marque du symbolisme qui, selon eux, « a eu une propension à filer dans tous les sens ». Il suffit de penser à cet égard à l'amitié qui lia Édouard Manet (1832-1883) et Mallarmé (voir le beau portrait de celui-ci réalisé à l'automne 1876 par son aîné de dix ans). Et, chose moins connue, à l'influence exercée dans l'Hexagone par les artistes anglais répondant au nom de préraphaélites : leurs œuvres, qui veulent s'éloigner de tout académisme pour en revenir à l'art gothique et au Quattrocento – avant Raphaël (1483-1520) – et remettent au goût du jour les thèmes bibliques et mythologiques, ont notamment eu un impact sur Gustave Moreau (1826-1898), sans parler des dramaturges et autres prosateurs français sur lesquels leur esthétisme raffiné a déteint.
Cette expansion internationale du symbolisme, on la retrouve en particulier avec les entrées « Belgique » et « franco-belge ». On y apprend que les symbolistes du plat pays ont, à l'opposé de leurs homologues français, surtout investi le théâtre – c'est le cas de Maeterlinck déjà cité –, le roman – avec Bruges-la-Morte (1892) de Georges Rodenbach (1855-1898) – et des genres poétiques novateurs où s'illustre un Émile Verhaeren (1855-1916) renouant avec le lyrisme marqué du sceau de la fraternité humaine. On y prend conscience également du rôle joué par les membres du réseau transfrontalier où le même Verhaeren prenait une part prépondérante, réseau que le tableau Une lecture (1903) de Théo Van Rysselberghe (1862-1926) permet de visualiser. On y rappelle aussi combien ont été importantes, dans le processus d'internationalisation du marché de la peinture, les influences exercées par la revue L'Art moderne, les Salons bruxellois des XX et de la Libre Esthétique. Comme quoi, concluent les deux auteurs de ce « Que sais-je? », « La dimension internationale du symbolisme est donc essentielle et c'est en cela qu'il annonce la dynamique des avant-gardes du 20e siècle ».
Henri Deleersnijder
Novembre 2011

Henri Deleersnijder est licencié en Arts et Sciences de la Communication et collaborateur scientifique à l'Université de Liège.
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