
L'Université de Liège vient d'apprendre avec une grande tristesse le décès d'Hubert Nyssen, écrivain et fondateur des éditions Actes Sud, survenu ce samedi 12 novembre. Le Recteur Bernard Rentier exprime sa tristesse : « Les lettres françaises, le monde de l'édition et tous les amoureux de la parole qui fait sens, celle qui touche et élève l'homme, sont aujourd'hui orphelins d'un sage, d'un conteur et passeur de culture exceptionnel. » En la personne d''Hubert Nyssen, le monde perd aussi un défenseur de la culture doublé d'un grand humaniste.
Né à Ixelles en 1925, naturalisé français en 1976, Hubert Nyssen a mené de front la double activité d'écrivain et d'éditeur. En 1978, il a créé la maison d'éditions Actes Sud qui occupe aujourd'hui, dans un indéfectible esprit d'indépendance à l'égard des modes et des servitudes commerciales, une position éminente au sein de l'espace éditorial français. Actes Sud s'est créé un fonds d'ouvrages de qualitéet d'auteurs durablement suivis, sans négliger le domaine étranger, au prix d'une courageuse politique de prospection et de traduction.
Auteur d'une douzaine de romans, dont plusieurs ont été primés (ainsi L'Italienne au rucher, couronné par le Grand Prix de l'Académie française en 1995), d'essais et de plusieurs récits et recueils de poèmes, Hubert Nyssen est par ailleurs ancien chargé de cours de l'Université d'Aix en Provence, ancien maître de conférences de l'Université de Liège (où deux années durant il a enseigné les ressorts de son métier d'éditeur), ex-membre de l'Advisory Council du Département de Langues et de Littératures romanes de l'Université de Princeton, sociétaire de la Société des Gens de Lettres et membre (à titre étranger) de l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique.
L'Université de Liège avait fait d'Hubert Nyssen, en 2003, l'un de ses plus illustres docteurs honoris causa. Il avait alors prononcé dans son discours de remerciement cet hommage remarquable aux universités du monde :
« On sait que souvent les carrefours sont généreusement éclairés. C'est pourquoi, Liège n'étant évidemment pas unique en son espèce, je me suis demandé quelle représentation nous nous ferions de la planète si, après les cartes des mers et de la terre, des continents et des nations, des conquêtes et des partitions, des structures et des climats, des déserts et des cultures, des forêts et des fleuves, on nous mettait soudain sous les yeux une carte de ces universités qui scintillent dans la nuit du monde. Et par nuit je fais référence à l'obscurantisme autant qu'à l'obscurité. Les voit-on, comme je les vois, ces carrefours illuminés, ici tout proches les uns des autres, véritables grappes de lumière, et là disséminés comme s'ils marquaient les frontières de grands déserts sans lumière parce que sans universités ? »
>> Voir le texte complet de l'allocution d'Hubert Nyssen : « Les universités scintillent dans la nuit du monde »
Deux années plus tard, en avril 2005, il a confié ses archives à l'ULg, créant ainsi le Fonds Hubert Nyssen au sein du Centre d'études du livre contemporain, dirigé par le Pr Pascal Durand. Ainsi qu'il l'indique lui-même sur son site personnel, le classement de ses archives, l'établissement d'un catalogue, dressé avec le concours de deux archivistes – Isabelle Nancy et Mélanie Mérienne – et le dépôt dans une université qui héberge déjà le Fonds Simenon, ont été motivés chez lui par le souvenir d'une espèce d'autodafé auquel il assista dans son adolescence et dans lequel disparurent les archives de ses grands-parents (Cf. Zeg ou les infortunes de la fiction, Actes Sud, 2002, p.125).


Hubert Nyssen et Pascal Durand, lors de l'inauguration du Fonds Hubert Nyssen à l'ULg, avril 2005. Photos ULg -DM
C’est aussi par le truchement d’Hubert Nyssen que l’Université de Liège avait eu le privilège en septembre 2007 d'accueillir dans ses murs des écrivains de renommée mondiale comme Nancy Huston, Paul Auster, Alberto Manguel et Bahiyyih Nakhjavani et de leur délivrer, à leur tout, le titre de docteur honoris causa. À cette occasion, Hubert Nyssen répondait à la question «À quoi sert la littérature ?» :
« (...) Voilà peut-être à quoi d’abord elle sert, la littérature. Par l’intelligence et la force de ses représentations, par leur multiplicité, et avec le concours de ses traductions, elle sert à nous éclairer sur le monde en ses multiples états, à nous en révéler les hideurs et les splendeurs, les astres et les désastres, à nous faire comprendre sa logique et ses contradictions, à nous faire sentir sa cruauté et sa tendresse. Elle sert, la littérature, à nous permettre de nommer le monde en sa diversité, et elle nous autorise même par la lecture, qui est elle-même une traduction, à l’enrichir de nos propres percepts avant de la transmettre à nos successeurs.»
>> Voir le texte complet de l'allocution d'Hubert Nyssen : « Mais à quoi donc sert la littérature ? » >> Voir la vidéo de cette allocution sur le site ULg.TV - ou sur le site Reflexions >> Voir la vidéo de la table ronde « À quoi sert la littérature » avec Nancy Huston, Bahiyyih Nakhjavani, Paul Auster, Alberto Manguel, Benoît Denis (ULg), Pascal Durand (ULg) et Hubert Nyssen.


Rentrée académique 2007. Photo de gauche :Visite du Fonds Nyssen (de g à d) : Paul Auster, Bernard Rentier (Recteur), Hubert Nyssen, Christine Le Boeuf, Alberto Manguel, Bahiyyih Nakhjavani. Photo de droite : Table ronde « À quoi sert la littérature? » (de g à d) :Alberto Manguel, Bahiyyih Nakhjavani, Paul Auster, Nancy Huston, Hubert Nyssen, Alain Delaunois (animateur), PAscal Durand (ULg), Benoît Denis (ULg)- Photos ULg-Michel Houet
Au nom de l'ULg, le recteur Bernard Rentier présente ses condoléances émues à son épouse, à ses enfants et à toute la famille de la maison Actes Sud. « Hubert Nyssen était un ami véritable de notre Université à laquelle il avait décidé en 2005 de confier une part importante de ses archives personnelles, acte de grande confiance et de générosité de la part de cet homme de grande culture, passionnant et passionné, amoureux de la langue et de la vie. »
15 novembre 2011