Cendre qui se fait souffle : le deuil et la poésie

Pourtant, écrire n'est rien d'autre que reproduire, dépasser et fixer les paroles prononcées et ressenties comme vaines, ou racheter les silences vécus comme coupables :

les mots partis à ta rencontre
ne t'auront pas souvent trouvé
(Sarré).

Les larmes parlent en pure perte (Dimoula).

Derniers Saluts ce soir
ceux que je t'envoie n'ont pas de fin
(Dimoula).

ne pas succomber
à la théorie
mais plutôt voir
apercevoir entrevoir y
compris ce qui est sur le point de disparaître
d'avoir
été
(Chambaz).

Le poème, qui est parole, en devient lieu de survie :

toi disparu du monde toi rayé de la carte sauf en pensée et en poème (Chambaz).

penser à toi ce n'est pas seulement penser à toi hier, c'est penser à toi maintenant, c'est te maintenir en vie en pure perte, ici et à présent (Chambaz).

Comment, pour cet être humain semblable et différent qu'est le poète, le proche disparu survit-il ?

Que reste-t-il au bout du couloir
où le poète a passé trop vite
comme un homme que la nuit poursuit ?
(Goffette).

Le mort est l'habitant de ces lieux abstraits que sont les souvenirs, les images, les instants figés :

Tu es un lointain pas de danse
saluant à travers les couloirs
un éventail de grâce que le mal
n'a pas tué
(De Angelis).

À présent l'ordre s'est brisé, à présent
tu t'approches de la chambre et restes
nue tout l'été, avec la main
qui tourne la poignée à l'infini
(De Angelis).

Peut-être
en terre
entends-tu
 le trot faste
du poulain
dans l'enclos ?
(Meurant).

Sarré

Faire survivre, pour l'illusion de rester ensemble :

tu as surgi à mes côtés
pour m'emboîter le pas
(Sarré).

Tu as raison, mieux vaut marcher
si nous voulons rester ensemble
(Sarré).

Tant que tu ne vivras pas aime-moi (Dimoula).

Je ne peux tout soulever d'une main.
L'autre tu l'as gardée en souvenir.
De l'instant où tu l'as éternellement lâchée
(Dimoula).

Ne t'en va pas, abîme, d'à côté de moi (De Angelis).

Qu'est dès lors le poème de deuil ? Les poètes nous le disent : un tombeau, mais aussi un sourire sur des larmes, un souffle de vie face à la mort. À Paul-Jean Toulet que j'évoquais en commençant, répondent deux de nos poètes :

Étranger, je sens bon. Cueille-moi sans remords :
les violettes sont le sourire des morts
(Toulet).

À toi mon amour, un simple
poème, ce sourire humain
et enfui que tu voyais dans chaque
syllabe, à toi une seule
dédicace, cendre qui se fait souffle, acte unique
(De Angelis).

Des fraises
sauvages
sur la tombe
minuscules
braises
J'attends la neige
(Meurant).

 

Gérald Purnelle
Octobre 2011

 

crayongris2

Gérald Purnelle mène ses recherches dans le domaine de la métrique, de l'histoire des formes poétiques et de la poésie française moderne et contemporaine.


 

Bernard Chambaz, Été II, Flammarion, 2010.

Milo De Angelis, Thème de l'adieu, Nous, « Now », 2010 (publication italienne en 2005).

Kiki Dimoula, Le peu du monde, suivi de Je te salue Jamais, Gallimard, « Poésie », 2010 (publication grecque en 1988).

Laurent Demoulin, Même mort, Le Fram, 2011.

Guy Goffette, Tombeau du Capricorne, Gallimard, 2009.

Serge Meurant, Célébration, Le Cormier, 2009.

Jean-Luc Sarré, Autoportrait au père absent, Le Bruit du temps, 2010.

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