Cendre qui se fait souffle : le deuil et la poésie
Gaspar David Friedrich, Promeneur au-dessus d'une mer de nuages,1818
Friedrich

Le dernier moment est aussi échange ultime :

Elle s'étonne
sourit
éphémère

afin que tu la quittes
paisiblement
(Meurant).

 

Elle nous nous quitta
pas un seul instant
au moment de mourir
dépouillée de douleur
(Meurant).

 

Tu l'accompagnes

Tu la vois traverser
l'agonie
sans secours
(Meurant).

Et ses yeux fermés
Et la peau parcheminée de ses doigts
Nous disaient encore son amour pour nous
(Demoulin).

Peut-être, de tout ce qu'il faut dire, dès lors que l'on a choisi le poème, la perte est-elle la chose la plus difficile à exprimer. Chacun l'approche à sa manière.

Nos pleurs cessèrent
Nous tremblâmes
d'être dépouillés
à cet instant
(Meurant).

Chaque porte,
chaque ampoule, chaque jet de la douche disent
que l'alliance s'est brisée
(De Angelis).

 

Chaque deuil
questionne
notre désir de vivre

nous dépouille
de ce qui déjà nous a quittés
(Meurant).

Demoulin

Laurent Demoulin est sans doute, de ces sept poètes, celui qui fonde la traversée de son deuil par le texte en s'imposant la description la plus explicite des moments d'agonie et de communion, et l'analyse la plus pénétrante des sentiments, des non-dits, des détresses.

Elle avait compris, elle, mon angoisse, mon lieu secret, ce que je ne pouvais pas, ce que je ne voulais pas comprendre, elle était tout à fait réveillée et c'était avec lucidité qu'elle m'écrasait le torse (Demoulin).

Par là, il atteint sans fard la part universelle de la mort :

Le silence durait
Et tant qu'il durait
Personne sur terre n'avait le droit d'être mort
À moins que tout le monde ne le soit déjà
(Demoulin).


Chez lui corps et esprit souffrants du mourant s'inscrivent au centre même de l'instant et de l'expérience :

dévoré par la souffrance
– la souffrance physique dévorant la souffrance morale
(Demoulin).

Lucide, le poète ne s'adresse pas seulement au parent décédé ; il est conscient que la douleur est un dialogue avec la mort :

Notre silence était chargé de myriades de connotations qui circulaient entre nous comme la poussière blonde dans la lumière de midi. Il disait la fin. Il dialoguait avec la mort, impavide et déterminé. Mais surtout – il ne faut pas avoir peur de l'écrire – il disait notre amour pour toi maman mère maman (Demoulin).

Et tel est aussi le poème : dialogue avec un mort et avec la mort. Les poètes s'interrogent sur l'acte même d'écrire sur et de la mort, avec doute, lucidité ou conscience de l'absurde :

Est-il possible d'évoquer ce moment-là sans céder à la mièvrerie ? Est-il possible d'écrire ce texte impossible ? D'en faire des poèmes ou de la prose, une série de textes poétiques obsédants, des vers libres, des sonnets, un pantoum ou que sais-je encore ? (Demoulin).

c'est la mort qui l'emporte sur le mot (Chambaz).

La mort
déplace
les lignes
déporte
les mots
(Meurant).

Page : précédente 1 2 3 4 suivante