On peut supputer les vertus cathartiques, voire thérapeutiques, de l'acte d'écriture ou de publication. Mais ce que l'on retiendra surtout, c'est l'expression d'une expérience partageable, sous tous ses aspects, par le lecteur – ces poètes ne disent pas autre chose que ce que tout un chacun peut ressentir.

Le poème est à la fois la résultante et le lieu ou le moment d'un mûrissement, d'un travail de traversée et de lucidité, qui aboutit à l'expression achevée et concentrée, l'image qui fait sens :
Mourir fut
cet émiettement des lignes (De Angelis).
Ta main
dressée
que transperce
la lumière (Meurant).
Le vent est la seule sépulture,
l'errance le plus sûr séjour (Sarré).

De quoi le survivant prend-il progressivement conscience ? De son ignorance et de son sentiment de culpabilité :
C'est toujours la même histoire et l'on s'en veut
d'avoir laissé dans le feu des paroles
et du vin de sombres nuages monter
sur le front d'un ami
sans rien lire au-delà des yeux, rien
du désert de vivre et de la soif de l'homme
aux prises avec ses ombres (Goffette).
Tes cheveux ce soir m'ont l'air plus gris
tandis que je les coiffe de pensées confuses.
Que t'arrive-t-il ? As-tu vieilli d'être photo longtemps
ou t'a-t-elle dit du mal de moi,
ma mauvaise conscience, la vipère ? (Dimoula).

Culpabilité qui peut, en un quasi-blasphème, se retourner contre le défunt lui-même :
En toi se rassemblent toutes les morts, toutes
les vitres brisées, les pages séchées, les déséquilibres
de la pensée, ils se rassemblent en toi, coupable
de toutes les morts, inaccomplie et coupable [...] (De Angelis).
La mort est vécue comme l'aboutissement d'un destin inexorable, programmé :
Tout était déjà en chemin. D'alors à ici (De Angelis).
Et face au destin, chaque poète révèle son être propre. C'est certainement chez Kiki Dimoula que le sentiment de l'absurdité et de la vanité de la condition humaine domine le plus :
J'appelle la cendre
par son nom de code : Tout (Dimoula).
Ô toutes choses vaines, ne pleurez pas.
Vous êtes seules en ce monde à vivre éternellement. (Dimoula).
Ce serait un comble s'il ne donnait pas signe de vie, l'absurde. (Dimoula).
Mais c'est surtout aux moments, fractions de temps, et aux lieux, que s'attachent l'œil et le souvenir des poètes : moments vécus avec le mort, moments de l'agonie, instant de la mort.
Il reste si peu de temps
pour l'essentiel et nous sommes quatre
quatre amis quatre à ne pas savoir
que l'un de nous déjà est au bord
de mourir à ce qui fait tourner
son ombre et sa mémoire [...] (Goffette).
Dans l'infranchissable minute reviennent tous
les jardins de notre vie (De Angelis).
C'était là
que tu étais en train de mourir (De Angelis).