
Certains jeux, comme RISK4, ne font aucune différence entre les armées impliquées, faisant du nombre et de la position de celles-ci les principaux facteurs de supériorité au cours de la partie. D'autres, à la manière des échecs ou du Stratégo distinguent divers types d'unités, mais en fournissent les mêmes effectifs aux deux adversaires, créant une situation de départ qui se veut équilibrée. Enfin, il est des jeux qui attribuent des troupes différentes aux adversaires pour refléter un état des combats à une époque donnée. Ainsi le jeu Axis & Allies5 établit comme déploiement de début de partie la situation du printemps 1942. Dans ce jeu, l'armée allemande est par exemple très riche en chars et en avions, mais ne dispose que d'une très faible marine, tandis que l'armée japonaise est dotée surtout de fantassins et d'une marine très puissante.
Directement lié au choix de la différenciation des forces combattantes se trouve celui du placement de celles-ci. En effet, si dans certains jeux le placement de départ des unités est parfaitement symétrique (dames, échecs), dans d'autres, le placement peut être aléatoire (RISK) ou dépendre de la volonté du joueur (Stratégo). Enfin, certains jeux (Axis & Allies) positionnent les troupes en fonction d'une situation historique.

Les choix liés au hasard, à la différenciation des forces en présence et à leur position sur le plateau mettent en évidence l'opposition entre deux finalités de la narration ludique. Si le jeu vise à un affrontement « juste », donnant à chaque joueur les mêmes chances de victoire et un contrôle maximal sur celles-ci, il devra comprendre très peu de hasard, des troupes dont les effectifs et les positions de départ sont les plus symétriques possibles, en dépit de la crédibilité historique. L'histoire narrée par ce jeu sera celle d'un duel entre les joueurs. Le contexte historique du jeu passant alors au second plan. Si le but est au contraire d'évoquer de manière aussi précise que possible les événements d'une époque donnée, il sera alors préférable de reproduire aussi rigoureusement que possible la situation historique, au risque de fausser l'équilibre des forces.
Si les choix précédemment cités sont incontournables, il en est d'autres, moins évidents, qui peuvent changer du tout au tout la dynamique d'une expérience ludique. Prenons par exemple la manière dont la politique est évoquée dans un jeu de guerre.

Dans la majorité de ces jeux, elle est tout simplement ignorée : deux joueurs s'affrontent, chacun joue pour soi. Les circonstances diplomatiques ayant mené au conflit évoqué font partie du contexte général, mais ne seront pas sous l'influence des joueurs, elles seront donc secondaires dans la narration. Il existe toutefois certains jeux qui misent beaucoup sur les alliances et trahisons entre joueurs. Les jeux Diplomacy6 et Junta7 sont très représentatifs de cette catégorie. En effet, dans ces jeux, un joueur a besoin des autres pour prendre l'avantage. S'il ne forme pas d'alliance, il ne pourra pas se démarquer et gagner la partie. Par contre, c'est généralement seul qu'il remportera ladite victoire, après avoir trahi ses alliés. La dynamique de formation d'alliances, d'échanges secrets, de trahisons en chaîne, de suspicion générale amenée par ce système a tendance à faire passer les combats se déroulant sur le plateau de jeu au second plan, transférant la majeure partie de l'intérêt sur les échanges entre joueurs.
À défaut de politique, c'est parfois la communication et les aléas de la chaîne de commandement qui sont mis en évidence dans un système de règles, comme dans le mode « Overlord » de Mémoire 448. Dans ce cas, les joueurs jouent par équipe, avec des alliances fixes et non renégociables. C'est leur capacité à exécuter un plan en commun, à équilibrer intérêt de l'alliance et intérêts personnels qui donneront alors la victoire à une équipe.
L'inclusion de la politique ou de la communication dans le système de règles donne énormément d'importance aux interactions entre joueurs autour de la table, ce qui donne au jeu une complexité de loin supérieure. Ainsi, il ne suffira plus seulement d'être capable d'anticiper les mouvements de l'adversaire ou de planifier les siens de manière adéquate pour gagner, mais il faudra aussi convaincre, ce qui met en jeu une série d'éléments dont l'influence est très difficile à quantifier : charisme, capacité d'écoute, influence, connaissance préalable des adversaires, humour et sens de la répartie, mauvaise foi,...
Il n'existe bien entendu aucune limite au type de règles spéciales qu'un concepteur peut inclure à son système afin de rendre la situation de guerre qu'il tente de décrire. Les renforts, le ravitaillement, l'expérience et le moral des troupes, la force de production des nations belligérantes, la recherche et le développement d'armes secrètes sont autant d'exemples de facteurs pris en compte dans certains jeux de guerre. Cependant, il est important que l'auteur mesure à quel point ces nouvelles règles compliqueront son jeu, qu'il veille à l'équilibre délicat entre la complexité des règles et le plaisir qu'en tirent les joueurs, car le jeu, plus encore sans doute que la plupart des autres supports de narration, se doit de promettre du plaisir et de l'intérêt s'il veut attirer un public.
David Homburg
Octobre 2011

David Homburg enseigne l'anglais à l'ULg, il coordonne également la mise en place de diverses formations aux soft skills au sein du portfolio de compétence à HEC-ULg.
4 Datant de 1959, RISK est un jeu de guerre se déroulant sur un plateau représentant une carte du monde. Le principe de ce jeu consiste à lancer ses armées à l'attaque de territoires afin d'étendre son empire au maximum. Du nombre de territoires dont dispose chaque joueur dépendent les renforts sur lesquels il pourra compter pour défendre son empire ou le faire grandir. 5 Axis & Allies fut publié en 1984. Ce jeu raconte le développement de la 2e guerre mondiale à partir du printemps 1942. Il se joue sur un plateau représentant une carte du monde et inclut des éléments comme la capacité de production des diverses nations, les fonds qu'elles investissent dans la recherche, des unités terrestres et maritimes très variées. Ce système de règles très complexe et une durée de jeu extrêmement longue (jusqu'à une dizaine d'heures dans certains cas) le destinent à un public de passionnés. 6 Publié pour la première fois en 1959, le jeu Diplomacy reproduit la situation politique des grands empires européens du début du 20e siècle. Le plateau de jeu, représentant une carte d'Europe sur laquelle sont positionnées les armées terrestres ou maritimes des différentes puissances, sert de base aux discussions des joueurs. L'évolution des combats et de lignes de front n'est ici due qu'aux alliances et aux coopérations mises en place, le hasard étant absent de ce jeu. 7 Junta, publié en 1979, met les joueurs dans la peau des dirigeants corrompus d'une république bananière fictive. Ce jeu oblige les joueurs à s'allier tout en les incitant sans cesse à trahir, afin de remplir la condition de victoire : transférer un maximum de l'argent de l'aide internationale sur leur compte en banque suisse. Chantages, pressions, assassinats et putschs sont monnaie courante dans ce jeu caractérisé par un humour au second degré. 8 Cette version pour huit joueurs de Mémoire 44 divise le champ des opérations en trois zones, chacune sous le contrôle d'un général, et place ces derniers sous les ordres d'un général en chef chargé de coordonner l'attaque. Cette version du jeu limite la fréquence des communications entre le général en chef et ses subordonnés, rendant la coordination entre les trois zones du dispositif complexe.
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