Victor Horta à la Maison Autrique
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Jusqu'à la fin de l'année, Victor Horta est honoré à la Maison Autrique, immeuble bruxellois qu'il a lui-même construit à la fin du 19e siècle.

C'est en 1996 que François Schuiten et Benoît Peeters s'aperçoivent qu'est mise en vente l'ancienne maison Autrique – du nom de son propriétaire, Eugène Autrique – conçue par Victor Horta à la fin du 19e siècle et située chaussée de Haecht à Bruxelles. Or le dessinateur et le scénariste des Cités obscures, une série majeure dans la bande dessinée contemporaine, revendiquent leur passion pour l'architecte bruxellois depuis leur premier album, Les Murailles de Samaris, où la ville de Xystos se distingue par son architecture très Art Nouveau. La commune de Schaerbeek rachète le bâtiment et confie sa rénovation aux deux amis. Leur projet, écrivent-ils dans un ouvrage publié en 1997, De la Maison Autrique à la maison imaginaire (Les Piérides), est d'en faire « une sorte de « maison des maisons », hommage à l'architecture privée bruxelloise en même temps que porte de l'imaginaire »1. Soit confronter l'univers d'Horta au leur. Ils vont ainsi restaurer le rez-de-chaussée et la cage d'escalier tels que l'architecte les avait conçus tout en réaménageant certaines pièces en conformité avec leur propre monde dessiné, recréant par exemple l'atelier du peintre Augustin Desombres ou l'antre de l'inventeur aussi infatigable que malchanceux Axel Wappendorf.

C'est dans cet espace magnifique que se tient jusqu'à la fin de l'année une exposition consacrée à... Horta. Sont par exemple visibles au rez-de-chaussée des vestiges de la Maison du Peuple de Bruxelles située en contrebas de la place du Grand Sablon. Commandée par le Parti Ouvrier belge, inaugurée en 1899 en présence de Jean Jaurès, elle a été démolie en 1965 malgré de nombreuses protestations et pétitions internationales. Certaines de ses ferronneries de façade décorent aujourd'hui la salle Art Nouveau d'une brasserie anversoise inaugurée en 2000. Projeté au premier étage, un film consacré à cet immeuble permet entre autre de découvrir la salle de spectacles de 1500 places dont des vestiges ont été stockés pendant des années à Tervuren. Des modèles en plâtre de la Maison du Peuple sont également visibles dans une vitrine au deuxième étage. Cette exposition présente encore des documents rares : des dessins du pavillon du Congo imaginé pour l'exposition de 1900, mais jamais construit, que Horta a brûlés en 1939 puis en 1945. Sont aussi exposées des photos de nombreuses de ses réalisations, dont les magasins Wolfers ou l'Hôtel Aubecq.

Maison Autrique © Marie-Françoise Plissart
Maison Autrique façade ph Marie-Françoise Plissart

Chef de travaux à la faculté d'architecture de l'Université de Liège, Xavier Folville est également secrétaire du Centre Serrurier-Bovy (1858-1910), du nom de l'architecte liégeois contemporain de Victor Horta, également lié à l'Art Nouveau. Il a notamment été le conseiller scientifique de la grande exposition qui lui a été consacrée en 2008 au Musée d'Art moderne et d'Art Contemporain (Mamac) de Liège pour le cent-cinquantième anniversaire de sa naissance.

Quels sont les liens qui relient ces deux architectes de l'Art Nouveau ?

Horta a essentiellement travaillé une architecture pour laquelle il réalisait du mobilier sur mesure. La démarche de Serrurier-Bovy est très différente. Il a très peu réalisé d'architecture complète, il a davantage fait des aménagements architecturaux intérieurs, s'orientant progressivement vers l'industrialisation du mobilier. Horta travaille, comme architecte, pour une clientèle de grands bourgeois tandis que Serrurier-Bovy, qui possède une production assez limitée en matière architecturale, réalise un mobilier au dessin anticipant d'une certaine manière le design.

Quel est l'apport d'Horta ?

II a véritablement lancé l'architecture Art Nouveau avec quelques réalisations extraordinaires, les hôtels Tassel, Van De Velde, Max Hallet, sa propre maison2, dans lesquelles il a révolutionné le plan, la volumétrie intérieure, faisant descendre la lumière au cœur de la maison. Et il a inventé son propre langage décoratif. Dans ce domaine, il a été bien plus loin que la plupart des architectes novateurs de son époque.

Serrurier-Bovy, de son côté, était davantage décorateur qu'architecte ?

Décorateur a toujours un côté trop restrictif. Je ne parviens pas à définir sa pratique en un mot. Il est architecte de formation. Il a un petit peu construit mais, à partir de 1888, il connaît des problèmes avec la ville de Liège et se recentre sur le commerce puis la fabrication de mobilier. Il a utilisé toute sa logique d'architecte pour se détacher progressivement du style Art Nouveau façon Horta, fait de lignes souples et organiques, et dessiner un mobilier de plus en plus rigoureux et géométrique qu'il destine à une véritable production industrielle. Animé par une pensée sociale, il a voulu mettre ce qui était nouveau, fonctionnel et beau à la portée d'un plus grand monde, estimant et exprimant publiquement que les classes laborieuses devaient également avoir accès à l'art et à la beauté. Il pouvait ainsi produire une même gamme de mobilier, soit en bois précieux soit en bois blanc, s'il estimait que la ligne était belle. Il était également visionnaire : « Il ne faut pas travailler pour un monde qui disparaît mais pour un monde nouveau dont on peut prévoir l'avènement ».

Maison Autrique, cage d'escaliers © Marie-Françoise Plissart
Maison Autrique cage d'escaliers Ph Marie-Françoise Plissart

Horta s'attachait plus à l'extérieur et Serrurier-Bovy à l'intérieur ?

Non, car Horta s'occupait aussi de l'intérieur. Il pouvait aller jusqu'à dessiner les ampoules pour les lustres. Il dessinait un mobilier spécifique à chaque réalisation. C'est très différent de ce que faisait Serrurier-Bovy qui n'a fait qu'occasionnellement des chantiers aussi importants. Il a par exemple réaménagé un château dans le Cantal et une villa balnéaire en Argentine.

Ils n'ont pas connu le même succès ?

En effet. Si Horta était connu des architectes et de ses clients fortunés, Serrurier-Bovy a bénéficié d'une très large diffusion. Il avait des magasins à Liège, à Bruxelles, à Paris, à La Haye, à Nice, il a été présent à des foires jusque Saint-Louis aux États-Unis pour l'exposition universelle de 1904. Il avait plusieurs ateliers et une production très importante. Il a été très connu jusqu'au lendemain de la première guerre mondiale.

Les deux hommes étaient amis ?

Je ne pense pas. Horta affichait du mépris pour Serrurier qu'il prétendait ne pas connaître, ce qui était impossible. Il y avait des clans, de la concurrence, des optiques très différentes. Horta avait la prétention, en partie justifiée, d'avoir inventé un style nouveau à son image. Quant au début du 20e siècle, l'Art Nouveau se popularise et devient un style parmi d'autres, il s'en détourne et se réoriente vers des choses plus classiques, passant à une forme d'Art Déco après la guerre.

Michel Paquot
Octobre 2011

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Michel Paquot est journaliste indépendant.

La Maison Autrique, 266, chaussée de Haecht, 1030 Bruxelles. Tél.: 00 32 215 66 00 ; www.autrique.be; info@autrique.be. Ouverture du mercredi au dimanche de 10 à 18h. L'exposition Victor Horta, a last world est visible jusqu'au 31 décembre 2011.
Voir aussi : Groupe d'Ateliers de Recherche (G.A.R.) asbl - structure de recherche de la Facutlé d'Architecture. Le G.A.R. met à la disposition des étudiants, des enseignants et des chercheurs tous les documents que regroupe son Atelier de Documentation et d'Archivage, dont Le Fonds Serrurier-Bovy (qui regroupe des ouvrages récents consacrés aux arts décoratifs et à l'architecture 1900 en Europe mais aussi aux autres mouvements artistiques des 19e et 20e siècles).

 
 
1 À lire également La Maison Autrique, Métamorphose d'une maison Art Nouveau que Schuiten et Peeters ont cosigné en 2004 aux Impressions Nouvelles.
2 Située 25 rue Américaine à Saint-Gilles, inscrite au patrimoine de l'Unesco et devenue le Musée Horta.