Krzysztof Warlikowski : L’acteur ne joue pas, il puise dans sa personnalité

Chaque membre de la compagnie de Krzysztof Warlikowski travaille en parfaite symbiose avec le reste du « clan ». Acteurs, dramaturge, scénographe, chorégraphe, metteur en scène ont pour objectif de stimuler les sens et l'imagination du public, pour qu'il en sorte avec des questions et de réflexions.

Vivre et non jouer – Une logique de clan

Warlikowski © Magda Hueckel
Warlikowski MagdaHueckel

Après un long parcours d'étudiant en philosophie et en histoire en Pologne et à Paris, Warlikowski entreprend des études de mise en scène à l'Académie du Théâtre de Cracovie. Il y suit notamment l'enseignement du metteur en scène Krystian Lupa, figure théâtrale extrêmement reconnue dans la Pologne depuis la fin des années 80. Si l'élève apprend du maître, c'est pour davantage s'en distancier ; une émancipation particulièrement nécessaire, tant elle faisait défaut chez d'autres élèves. S'il s'en éloigne, le jeune metteur en scène n'oublie pourtant pas celui qui fut son professeur, notamment en ce qui concerne ses conceptions du jeu de l'acteur : Lupa est à l'origine d'une conception précise du jeu de l'acteur. Celui-ci ne peut pas jouer, il doit puiser dans sa personnalité ; se laisser vampiriser par le personnage qu'il va créer. Chez Warlikowski, l'idée reste principalement la même. L'acteur ne joue pas, il manifeste sa présence et vit sur scène.

Cette manière particulière d'envisager le jeu d'acteur va de pair avec le mode de fonctionnement de la compagnie polonaise, fondée sur la création d'un cercle très fermé et intime. Warlikowski connaît ses comédiens et leur demande de n'être rien d'autre qu'eux-mêmes sur le plateau. Le metteur en scène n'organise presque jamais de castings, au grand dam de nombreux acteurs qui ne demanderaient rien de mieux que de jouer avec cet artiste particulièrement médiatisé et reconnu par la critique. Il ne cherche pas des « virtuoses » du théâtre mais des êtres humains ayant une personnalité et une sensibilité particulières, nous révèle le dramaturge. La compagnie de Warlikowski semble fonctionner selon les mêmes principes qu'un clan : une extrême cohésion et une grande intimité pour ses membres associées à une certaine fermeture par rapport aux éléments extérieurs.

Créateur de texte(s) – Sur la dramaturgie

À l'occasion de la Master Class, Piotr Gruszczyński, dramaturge, est revenu plus en détail sur son propre rôle dans la compagnie. Sa fonction est largement tributaire de l'influence du théâtre allemand en Pologne, la tradition du dramaturg, personnalité qui travaille dans deux sens : les recherches préliminaires pour l'adaptation et l'écriture de texte. C'est l'occasion de revenir sur l'un des fondements du geste de Warlikowski : la volonté de produire un texte pour la scène qui passe par la réappropriation du matériau d'origine par le metteur en scène. Ce travail de « réécriture » est le plus souvent pris en charge par Warlikowski et son dramaturge, qui travaillent en collaboration. Nous pouvons retrouver un exemple éloquent de cette démarche dans l'adaptation warlikowskienne de La Tempête. Warlikowski trouve dans ce texte l'occasion d'évoquer un événement traumatisant dans l'histoire polonaise contemporaine : la découverte ayant défrayé la chronique, il y a quelques années, de l'implication massive de polonais dans le massacre des juifs dans la ville de Jedwabne. C'est dans la réalité concrète que Warlikowski puise pour adapter des textes tels que La Tempête. Le matériau littéraire n'est pas un prétexte, il est le vecteur par lequel parler de la condition de l'homme dans la société actuelle ; héritage d'une tradition romantique très forte en Pologne où l'artiste est investi d'une mission, nous explique le dramaturge. Cette démarche de réappropriation textuelle s'est, depuis (A)pollonia, nettement radicalisée. Depuis lors, Warlikowski s'attache à produire un montage textuel entre des textes très divers – Shakespeare, J.M. Coetzee, Kafka, Euripide ou Koltès – en cherchant à construire un fil conducteur entre les différentes intrigues et thématiques.

La Pologne, entre l'ouest et l'est

Reposant sur le postulat que ce qui reste de l'Est – au sens de l'influence communiste – est moins visible qu'auparavant mais toujours aussi persistant sur un fond résiduel, comme l'explique Georges Banu dans l'exposé introductif à la table ronde « De l'est que reste-t-il ? », nous pouvons comprendre quels rapports Warlikowski entretient avec la Pologne – pays qu'il s'est empressé, de son propre aveu, de quitter dès que possible pour partir en Europe occidentale, mais où il continue néanmoins de vivre ; sa compagnie étant, malgré son succès international, toujours basée à Varsovie. Warlikowski apparaît comme un homme plongé dans de nombreuses contradictions : mû par un rejet du développement des théâtres polonais après la chute du mur tout comme par une critique des politiques de gestion et de production des théâtres occidentaux qu'il juge mercantiles et élitistes ; institutions dans lesquelles il joue pourtant un rôle actif, une contradiction qu'il reconnaît volontiers.

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