Le cinéma mental de David Cronenberg

L'horreur intime

D'un autre côté, Cronenberg parle encore de notre monde en focalisant son attention sur l'intime, l'interne à savoir la famille et le couple. Pour Jean-Pol Dozot, « l'inquiétante étrangeté » propre à Freud, se manifeste directement dans le couple. Un seul regard ou un seul mot peut faire découvrir à l'un des conjoints l'altérité profonde de l'autre. Il devient un étranger qu'on ne reconnaît plus. Nous retrouvons abondamment cette logique dans les films du réalisateur. L'horreur émerge au sein du couple et puis par extension au sein de la famille. C'est bien la sphère de l'intime qui est visée.

Les relations de couple ne fonctionnent jamais dans la filmographie du cinéaste. L'amour et les sentiments s'effacent devant une consommation sexuelle excessive mais ne menant nulle part. Cette sexualité s'exprime souvent par des aventures sans retour, des expérimentations sauvages et polymorphes : le « héros » de Vidéodrome est fasciné par les snuffmovie et le sado-masochisme, les accidentés de Crash érotisent la mort et toutes ses marques (cicatrices, plaies, tatouages, prothèses), les époux de A History of Violence s'expriment sexuellement dans les mises en scènes régressives (redevenir une pom-pom girl adolescente) et dans la violence... Dans tous les cas, les couples ne font que renforcer la désespérance de chaque solitude.

 

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À l'instar du couple, la famille devient le lieu d'éclosion de l'horreur et du traumatisme. D'abord, l'enfantement équivaut à un acte monstrueux chez Cronenberg. Les femmes accouchent d'une portée d'êtres malfaisants (The Brood et The Fly où un personnage rêve qu'elle donne naissance à une mouche). La folie prend racine dès la naissance des protagonistes, elle se transmet comme un virus : les jumeaux de Dead Ringers sont gynécologues et travaillent directement sur la question de l'origine, la démence de la mère de The Brood et du personnage de Spider remonte à leur enfance. Ensuite, la question de l'autorité familiale est traitée dans les deux derniers opus du réalisateur, A History of Violence et Eastern Promises. Dans les deux films, le metteur en scène met en parallèle les organisations familiales et criminelles, fonctionnant de la même façon. Les échanges et l'autorité sont réglés mécaniquement par la force et la violence bestiale. Cette violence se transmet comme une maladie. Le fils de Tom Stall / Joey Cusack reproduit les mêmes comportements que son père dans A History of Violence.

Pour Jean-Pol Dozot, les productions de David Cronenberg ne sont pas gratuites et sans effet. Toute l'esthétique détournée du cinéaste tend vers l'objectif de rendre la vue au spectateur sur le monde dans lequel il se trouve mais aussi sur son corps et ses mécanismes mentaux les plus intimes. L'œuvre d'art est l'un des seuls moyens d'échapper à la machine mise en place dans laquelle nous sommes englués.

 

Sylvain Bayet
Juin 2009

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Sylvain Bayet est étudiant en 2e Master en Arts du spectacle à finalité didactique.




Les photographies sont des captures d'écran.
 

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