Le cinéma mental de David Cronenberg

Rencontre avec le psychiatre Jean-Paul Dozot, qui s'intéresse à l'œuvre de David Cronenberg d'un point de vue psychiatrique et s'en sert dans son travail de compréhension de la maladie mentale. Selon lui, toutes les productions du cinéaste peuvent être interprétées comme des métaphores de certains concepts psychiatriques.

Filmer l'indicible

Selon Jean-Pol Dozot, les films  de David Cronenberg ne cherchent pas l'explicitation psychologique, à l'inverse des productions hollywoodiennes de divertissement. Il n'y a pas chez lui de « personnages » mais uniquement des allégories (porteuses de symboles) et des icônes (porteuses d'informations), des illustrations de concepts généraux. Ils ne sont souvent que des automates reproduisant des comportements machinistes, difficilement explicables. Chez le cinéaste, les préoccupations sont ailleurs : elles sont majoritairement esthétiques mais également fantasmatiques. C'est pour cette raison que Jean-Pol Dozot affirme qu'il en apprend bien plus sur son métier en regardant les opus de Cronenberg, plutôt que de lire des revues ou des écrits traitant de psychiatrie pure. Cronenberg ne filme pas la réalité, mais l'indicible. Il n'existe aucun mot pour qualifier ce qu'il nous donne à regarder. Quand le Réel (l'indicible) vient effondrer l'Imaginaire sans qu'il y ait de médiation symbolique possible, cela s'appelle un « trauma » : il s'agira pour le thérapeute ensuite de construire une « histoire » avec le patient, de mettre des mots (et si possible jusqu'à l'humour) sur les choses. Selon Jean-Pol Dozot, visionner les films de Cronenberg renvoie à l'indicible évoqué par les malades mentaux.

Face à l'horrible altérité

La position de spectateur devant les films de Cronenberg peut être comparée à la place du psychiatre face au malade mental. Dans les deux cas, nous sommes confrontés à l'altérité maximale, le différent dans toute son horreur. Les films de Cronenberg rejouent en permanence la rencontre traumatisante de l'altérité pour un spectateur condamné à regarder passivement ce spectacle. Cela se joue selon deux procédés.

Premièrement, le réalisateur nous conte des histoires de transformations monstrueuses, de retour à un stade animal. The Fly en constitue le plus bel exemple. Le film nous présente la mutation horrible d'un homme en insecte suite à une malheureuse expérience scientifique. Cette angoissante métamorphose « kafkaïenne » est la métaphore d'une autre mutation, intérieure celle-là, que subit le schizophrène. Les tortures ne sont pas moins grandes que celle du personnage, la malade ne se reconnaît plus à ses yeux et aux yeux des autres. De cette manière, il effectue aussi une transformation destructrice. La filmographie du cinéaste recèle de telles mutations monstrueuses, de l'émergence de l'horrible dans le quotidien.

Deuxièmement, l'altérité se manifeste aussi sur le motif de la répétition aliénante du même, du dédoublement. Cette autre émergence de l'altérité n'en est pas moins monstrueuse. La folie s'ancre toujours dans la multiplication de l'identique : les jumeaux de Dead Ringers, les personnages revenant d'entre les morts de Naked Luch ou Spider ou encore les protagonistes à plusieurs facettes de A History of Violence et Eastern Promises. Le spectateur d'un film de Cronenberg se retrouve à chaque fois confronté à l'altérité, monstrueuse ou duelle, de la même manière que le psychiatre face au malade mental.

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