Femme devenue reine, reine devenue mythe, objet tour à tour d'admiration et de haine, source d'inspiration pour les écrivains, les artistes, les cinéastes et même les agents de publicité, Cléopâtre (69-30 avant notre ère) fascine depuis plus de 2000 ans. Si la dernière reine d'Égypte est universellement connue pour ses liaisons avec César et Marc Antoine, pour son défi lancé à la puissance romaine et pour sa fin dramatique mise en scène avec un art consommé, sait-on que, dès l'antiquité, des traités de médecine lui furent attribués ?
Cléopâtre, une femme savante
Quoique d'origine macédonienne comme ses ancêtres, les Ptolémées, Cléopâtre n'en était pas moins très appréciée en Égypte. Dans la Vie d'Antoine, l'historien et philosophe grec Plutarque (vers 50-125) raconte qu'à l'opposé de ses prédécesseurs, qui ne connaissaient que le grec, la reine était polyglotte. Elle pouvait répondre dans leur langue non seulement aux Égyptiens, mais aussi aux Éthiopiens, aux Troglodytes (habitants de la côte occidentale du golfe arabique), aux Hébreux, aux Arabes, aux Syriens, aux Mèdes, aux Parthes, et à bien d'autres peuples encore.
Comme beaucoup de souverains hellénistiques, elle manifestait un intérêt certain pour les sciences de son temps et comptait dans son entourage plusieurs médecins, dont deux au moins nous sont connus : Dioscoride Phakas et Olympos. La pharmacologie, et plus particulièrement les poisons, auraient retenu son attention, au point qu'elle aurait fait procéder à des expériences sur des cobayes humains. Mais il s'agit là, peut-être, d'une invention destinée à discréditer la reine dans l'opinion romaine.
Cléopâtre, auteur de livres de médecine ?
Dans son traité sur La composition des médicaments selon les lieux, le médecin grec Galien (129-216) donne comme textuelles plusieurs citations d'un ouvrage intitulé Kosmètikon ayant Cléopâtre pour auteur. Ce sont surtout des recettes contre l'alopécie, pour faire pousser les cheveux, les épaissir et les noircir, mais aussi des remèdes contre des affections cutanées, comme la teigne, les ulcérations, les pellicules, la lepra (dermatose mal identifiée qui ne correspond pas à notre lèpre) et les boutons1.
Avant Galien, Criton, médecin de l'empereur Trajan (règne de 98 à 117), avait rassemblé dans ses Kosmètika (perdus) « quantité de médicaments d'Héraclide, de Cléopâtre et de beaucoup d'autres médecins qui leur sont postérieurs », ce qui prouve que le Kosmètikon de Cléopâtre était déjà en circulation au premier siècle de notre ère.
À la suite de Galien, d'autres médecins grecs beaucoup plus tardifs, comme Aetius d'Amida (milieu du VIe siècle) et Paul d'Égine (VIIe siècle), citeront également des recettes de la reine, notamment pour boucler et teindre les cheveux.
Photo © George Shuklin - Statue de Cléopâtre portant la corne d'abondance - Musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg
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La « signature de Cléopâtre »Le P(apyrus) Bingen 45, conservé au Musée égyptien de Berlin, est un document écrit en grec et daté du 23 février 33 av. J.-C. (règne de Cléopâtre VII et de son fils Ptolémée Césarion). Un personnage, qui porte un nom romain, s'y voit accorder (ainsi qu'à ses héritiers) une série de privilèges fiscaux : autorisation d'exporter du blé et d'importer du vin sans payer les droits de douane, exonération des taxes sur les terres qu'il possède en Égypte, exemption de la réquisition d'animaux ou de bateaux. De plus, ses fermiers ne seront soumis ni aux taxes ni aux corvées.
Jean Straus
Jean Straus enseigne la papyrologie documentaire à l'ULg. Il est spécialiste de l'histoire de l'esclavage dans l'Egypte gréco-romaine.
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1Ces recettes ont été rassemblées et traduites en allemand par H.L.E. Lüring, Die über die medicinischen Kenntnisse der alten Ägypter berichtenden Papyri, Leipzig, 1888, pp. 122-129.