
L'oeuvre installée à la Faculté des Sciences appliquées de l'Université de Liège depuis janvier 2009 appartient à cette catégorie. Frieze of Frozen Freaks n'a que peu de relations formelles avec l'architecture où elle prend place. Le bâtiment dessiné par René Greisch n'a guère compté dans la conception de l'installation : outre les dimensions de l'œuvre « adaptées » au mur qui l'accueille, on peut tout au plus relever l'apport de lumière que le caisson rétroéclairé donne aux tonalités sourdes du lieu. Le choix des images et le sens qu'elles véhiculent ne témoignent pas non plus d'une étude de l'activité du site. Tournées à Liège en 2006, les 13 photographies panoramiques qui composent la frise constituent en fait la matière première de l'installation de Marin Kasimir pour l'exposition Images Publiques (mai-septembre, 2006, Liège). Imprimées sur des supports souples, elles habillaient alors la partie cylindrique du fût des colonnes de la première cour du Palais des Princes-Evêques. L'artiste les a retravaillées : « Mes images avaient perdu leur lisibilité simultanée, frontale. Il fallait tourner autour des pièces pour les découvrir. Avec le projet du Sart Tilman, je les ai remises à plat, en les reliant les unes aux autres ».

Pour composer Frieze of Frozen Freaks, les recherches ne se limitent donc pas à la mise en scène, la prise de vue ou le tirage. Il y a tout un travail pour juxtaposer des images disparates dans une suite cohérente ; « Je devais arriver à créer un faux panorama avec des vrais panoramiques », explique Kasimir. La qualité des sutures, sensible notamment dans la fluidité des ciels, donne à la frise une unité à même de laisser penser que l'on a à faire à un espace vraisemblable, rythmé par une curieuse construction à l'allure de rotonde. En réalité, il s'agit de lieux distincts. Les tournages ont bien tous été réalisés à Liège, mais dans des lieux et à des moments différents : pour une part, à l'intérieur de la cour du Palais des Princes-Evêques pendant les semaines qui ont précédé l'ouverture d'Images Publiques et, pour une autre part, dans le quartier nord à l'occasion du Carnaval. L'espace de la frise est donc aussi irréel que les créatures qui le peuplent. En associant le gros plan et le grand angle, Marin Kasimir imprime des déformations hallucinantes aux corps des figurants. Le rapport avec l'iconographie débridée des colonnes de la cour du Palais avec leurs visages grimaçants, têtes de fou et autres masques emplumés, est évident. Sur le mode allégorique, l'artiste nous invite encore à y reconnaître « une danse macabre contemporaine » suggérant tant la vanité de l'existence humaine que l'égalité des hommes devant la mort.
On pourrait s'interroger sur la valeur des pièces « moins intégrées » - et donc plus autonomes -, mais on pourrait aussi questionner la nécessité à ce qu'une installation soit absolument circonstanciée. Fallait-il vraiment que Kasimir développe une thématique en relation avec les préoccupations des parlementaires qui se réunissent à l'Hôtel de Ligne ou avec l'activité des ingénieurs qui travaillent dans le bâtiment des Sciences appliquées au Sart-Tilman ? N'est-il pas préférable que son intervention puisse aussi permettre de « sortir du sujet » ? Et, d'une manière plus générale, on peut se demander si l'importance de l'étude du contexte pourrait aller jusqu'à justifier qu'un artiste sorte de son champ d'expérimentation, voire qu'il trahisse sa démarche, simplement pour s'intégrer. Une « œuvre de circonstance » est-elle préférable à une pièce significative de l'ensemble d'un travail ? Doit-on choisir un créateur en fonction du lieu ou à l'analyse de la qualité de son oeuvre ? ...
Pierre Henrion
Mai 2009

Pierre Henrion est historien de l'art, il enseigne à l'E.S.A-Académie des Beaux-Arts de Liège et est l'un des trois conservateurs du Musée en plein air du Sart Tilman.
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