Japon-Europe, regards croisés en bandes dessinées

 

Sous ce titre, Paul Herman examine, dans un bel album avant tout basé sur l'illustration et qui se lit pour moitié dans un sens, pour moitié dans l'autre, les rapports entre la bande dessinée européenne et le manga depuis la fin du XIXe siècle, et leurs influences réciproques. Richement documenté et très instructif.

« Découvert » au milieu du XVIe siècle par les Occidentaux, le Japon voit arriver de nombreux Jésuites qui seront bientôt expulsés, comme quasiment tous les étrangers. Il faut attendre deux cent ans avant que le pays ne s'ouvre à l'Europe, attirant notamment journalistes et scientifiques. Parmi lesquels le médecin-botaniste d'origine allemande Franz von Siebold, qui ramène une foison d'estampes, et dont plusieurs manga racontent aujourd'hui les aventures. À la même époque, une abondante littérature de voyage mêle récits historiques et légendaires tandis que des peintres reviennent avec des croquis et illustrations réunis dans des recueils. Paraissent aussi des reportages graphiques, des caricatures et des récits illustrés « japonisants » qui sont de véritables pré-bandes dessinées.

Vers le milieu du XXe siècle, le Japon fait son entrée dans la BD franco-belge par le biais d'un Moyen Âge largement fantasmé, les dessinateurs n'en ayant le plus souvent qu'une vague connaissance. « La plupart des auteurs européens évoquent avant tout les samouraïs et l'époque du shogun, écrit Paul Herman. Les points de comparaison avec l'époque féodale et les chevaliers sont plus évidents. On retrouve les mêmes thèmes: fidélité au seigneur, quête impossible, voire démons à terrasser. » Le samouraï sort parfois de son cadre historique pour devenir une sorte de symbole, également présent dans des récits contemporains.

 japon
Le Vent des dieux de Cothias et Adamov (Glénat)

Ces dernières années, un intérêt pour le monde nippon et sa culture s'est manifesté au travers de séries différentes Le Vent des dieux (Adamov/Cothias), Les contes du septième souffle (Micol/Adam), Okiya (Jung/Jee-Yun), Samouraï (Genêt/Di Giorgio), Kwaïdan (Jung), Bakemono (Sala), Rangaku (Di Vicenzo/Enoch) ou Kogaratsu (Michetz/Bosse). Le pays du Soleil levant survient ponctuellement dans des albums, par le biais d'épisodes historiques - souvent guerriers - ou de ses natifs. C'est par exemple le cas chez Corto Maltese, Spirou et Fantasio, Tintin, Buck Danny, Poison Ivy, Yoko Tsuno, Adler, Valhardi, Néro, Tif et Tondu, Bob et Bobette, Taka Takata ou Blake et Mortimer.

 

japon
Les contes du septième souffle de Micol et Adam (Vents d'Ouest)

Le dessinateur et scénariste Frédéric Boilet, installé au Japon depuis le milieu des années 1990, en a fait le cadre de plusieurs de ses albums, tels Mariko Parade et Tokyo est mon jardin. Tout en devenant le héros masculin des albums d'Aurélia Aurita. Dans Fraises et chocolat, deux tomes parus aux Impressions Nouvelles, la jeune Franco-cambodgienne raconte avec un mélange de crudité, d'innocence et d'espièglerie la découverte du plaisir sexuel auprès de « Frédéric », liée à celle du pays. Et dans Je ne verrai pas Okinawa, elle évoque avec humour et étonnement les tracasseries dont est victime son héroïne de papier pour obtenir un visa à son arrivée à Tokyo.

japon


La naissance du manga

Mais qu'en est-il dans l'autre sens? Dès la fin du XIXe siècle, les Européens apparaissent dans l'estampe japonaise et, au début du siècle suivant, naissent les « ponch-e », premiers manga mêlant caricatures et courtes bandes dessinées dont l'un des principaux représentant est Rakuten. Cette forme de récit est, à cette époque, assez déconsidérée même si, à l'instar de ce qui se fait aux États-Unis, elle est présente dans certains journaux. Et c'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que le manga moderne commence à prendre son essor.

japon
Jeanne, d'après Jeanne d'Arc, de Yoshikazu Yasuhiko (NHK Publishing)

Parti en 1988 faire découvrir au Japon le 9e art franco-belge, l'éditeur Jacques Glénat rapporte dans sa valise Akira, le premier manga publié en France et le début d'une déferlante qui n'est pas prêt de s'éteindre. Parmi les univers mis en scène dans ces petits livres souples qui se lisent à l'envers, certains sont inspirés du monde occidental européen ou mettent en scène des Occidentaux confrontés à la culture nipponne. « Les héros, tant japonais qu'européens, sont tous fascinés par l'autre pays », commente Paul Herman. On y retrouve ainsi tant des influences de l'histoire européenne - l'Antiquité grecque à travers les récits d'Homère, l'Inquisition, la Révolution française, l'Angleterre victorienne, le Paris Belle Epoque, l'Allemagne nazie  - que plusieurs de ses illustres personnages - Leif Erikson, fils d'Erik le Rouge, Jeanne d'Arc, César Borgia, ou Napoléon. Mais on peut également déceler dans les mangas d'aujourd'hui la  marque de certaines œuvres fondatrices de la culture européenne, tels que des opéras (L'anneau des Nibelungen de Wagner, le Don Giovanni de Mozart), des contes de Grimm (le Petit Chaperon Rouge, Blanche-Neige, Cendrillon), voire des œuvres de la littérature populaire, comme Arsène Lupin, Dracula de Bram Stoker, ou même la très exotique Angélique, marquise des anges d'Anne et Serge Golon.

 

Michel Paquot
Mai 2009

 

icone crayon

Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.

 


 

Paul Herman, Europe Japon / Japon Europe, Glénat, 250 pages