Quand les auteurs de bande dessinée s'interrogent sur leur art
Souvent considéré comme un art mineur, plutôt réservé à la jeunesse, la bande dessinée revendique une reconnaissance artistique. Les auteurs eux-mêmes initient la réflexion sur l'art et le medium. La collection Éprouvette, au sein de L'Association répond à ce besoin de réflexivité.

De Eisenstein à Godard, quantité de grands réalisateurs ont écrit sur leur art. Après Töpffer, les auteurs de bandes dessinées, eux, sont longtemps restés muets1.

Pendant de nombreuses années, la bande dessinée a souffert d'un déficit de légitimité. La frange de la critique qui tentait de réhabiliter le medium avançait différentes causes symboliques, structurales et éditoriales. Thierry Groensteen expose celles-ci de manière très claire dans son essai Un objet culturel non identifié. En résumé, on peut dire qu'en plus du mélange de textes et d'images qui la rend hautement suspecte, la bande dessinée entretient, dans les représentations communes, un lien fort avec l'enfance et l'humour. De plus, elle est généralement soumise à la loi des séries et semble vouée à la répétition sans fin de stéréotypes narratifs vu sa tendance marquée à l'oubli de sa propre histoire. Enfin, la quasi inexistence des rééditions de classiques fait de la mémoire du medium une affaire de spécialistes.

Néanmoins, depuis quelque temps, les choses évoluent. Différentes initiatives (musées de la bande dessinée, festivals, prix, présence médiatique, etc.) ont vu le jour et entreprennent de soutenir et développer la légitimité de la bande dessinée.

L'histoire des champs de productions culturelles et artistiques montre cependant que légitimité et autonomie ont souvent partie liée et les initiatives externes au champ de la bande dessinée ne pourront imposer une reconnaissance artistique légitime ni en son sein, c'est-à-dire pour les auteurs eux-mêmes, ni en dehors, auprès du public. C'est des auteurs eux-mêmes que doit venir ce mouvement de légitimation. Comme tout champ qui se dote de ses propres règles, c'est aux auteurs de distinguer ce qui est valable ou pas, d'instaurer une hiérarchie au sein de la production et de théoriser leurs pratiques.

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Édition et réflexivité

C'est pour rencontrer cette ambition de réflexion interne que la collection Éprouvette a été créée au sein du catalogue de L'Association. Fondée en janvier 2005, cette collection présente comme particularité principale d'offrir une large ouverture aux travaux d'auteurs de bande dessinée, suscitant de la sorte une pratique réflexive tantôt polémique, tantôt philosophique, tantôt politique. On retrouve ainsi des ouvrages de Jean-Christophe Menu, Lewis Trondheim, Malher et Jochen Gerner. Est annoncé pour ce mois-ci un ouvrage d'Alex Baladi. Ces œuvres voisinent avec des essais littéraires sur la bande dessinée dus à des spécialistes du domaine : Pacôme Thiellement analyse l'œuvre de Mattt Konture dans un ouvrage éponyme et Christian Rosset, dans Avis d'orage en fin de journée, mêle micro-monographies et réflexions sous forme de fragments sur le medium.

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Cette jeune collection a été lancée avec la publication de deux ouvrages d'auteurs reconnus : un essai en bande dessinée de Lewis Trondheim, Désœuvré, qui s'interroge sur les liens entre la production d'un auteur et son vieillissement biologique et un pamphlet redoutablement efficace de Jean-Christophe Menu, Plates-bandes, qui dépeint de l'intérieur l'état de l'édition de bande dessinée contemporaine. Ces deux ouvrages ont été abondamment commentés, en particulier celui de Menu, dont la verve polémique trouvait là une tribune à plus large diffusion que dans les éditoriaux des Nouvelles de l'Hydre, lettre périodique réservée aux membres de L'Association.

Au-delà de leurs thèmes propres, ces livres explicitent, chacun à leur manière, le mode de fonctionnement social du champ de la bande dessinée. Ils constituent ainsi des témoignages précieux pour l'histoire des sociabilités littéraires.

On retrouve ces types de témoignage dans un genre fort présent dans le catalogue de L'Association : l'autobiographie. La maison d'édition a d'ailleurs participé à l'émergence de ce genre au cours des années 1990. Cette explosion générique a permis d'imposer fortement la figure de l'auteur de bande dessinée, artiste à part entière revendiquant la valeur de son travail.



1 Thierry Groensteen, Un objet culturel non identifié, Éditions de l'An 2, 2006, coll. « Essais », p. 18, n. 25

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