Docteur Honoris Causa de l'Université de Liège depuis le 18 septembre 2007, Haruki Murakami a écrit en trente ans de nombreux romans et nouvelles traduits en français depuis 1990. Autoportrait de l'auteur en coureur de fond paraît juste après un recueil, Saules aveugles, femmes endormie, et en même temps que trois rééditions : deux romans et des nouvelles.
Chez Haruki Murakami, il y a un avant et un après Kafka sur le rivage. Comme d'ailleurs dans l'histoire littéraire récente. Cet ample et dense roman publié à Tokyo en 2003, et chez nous trois ans plus tard, conte le double voyage, à la fois physique et intérieur, d'un sexagénaire et d'un adolescent à travers le Japon. Ancré dans la tragédie grecque, sur laquelle l'auteur a beaucoup travaillé, et notamment le mythe d'Œdipe, cette fresque pénètre un monde vertigineux où sont abolies les frontières entre le réel et l'imaginaire. Après cet incroyable chef d'œuvre, qui dépasse l'anecdotique pour faire surgir une profondeur humaine par la force de son imaginaire et de son écriture, l'auteur se devait de confirmer. Si, depuis, il a publié trois livres, un recueil de nouvelles anciennes, Saules aveugles, femme endormie, un bref roman sur le Tokyo nocturne, Le Passager de la nuit, et, aujourd'hui, un ouvrage autobiographique, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, il n'a toujours pas signé un livre qui ait le souffle et la puissance de son Kafka, comme s'il craignait un nouveau corps-à-corps avec un texte d'envergure.
Un conteur d'histoires
Né à Kyoto en 1949, Haruki Murakami ne se destine pas à l'écriture, ce qui rend encore plus prodigieux son parcours – et qu'il soit le sujet de thèses universitaires et annuellement cité pour le Nobel. Mieux : au moment de choisir sa voie, il a renoncé à suivre des études de scénariste, persuadé n'avoir « rien à écrire » ! L'écriture est pourtant inscrite quelque part dans ses gènes car on ne devient pas par hasard l'un des plus grands écrivains mondiaux, mais il ne le sait pas encore. Passionné de jazz, musique dont il collectionne avec frénésie les disques – « Glaner des vieux 33 tours est pour moi une des choses qui rendent la vie précieuse », précise-t-il joliment dans une nouvelle –, il tient pendant huit ans un café-club de jazz à Tokyo. Jusqu'à ce 1er avril 1978 où, lors d'un match de base-ball, celui qui avoue n'avoir « jamais eu la moindre ambition d'être romancier » se voit soudainement pris du « désir ardent d'écrire un roman ».
A l'automne, il achève de « noircir deux cent pages de quatre cents caractères » et son texte, Ecoute le chant du vent (non traduit en français), remporte un concours organisé par une prestigieuse revue japonaise, Gunzo. Il a 29 ans et décide de tout arrêter pour devenir, comme il se définit lui-même, un « conteur d'histoire ».
En 1982, il termine La course au mouton sauvage, qu'il considère comme son vrai premier roman, traduit au Seuil en 1990 et aujourd'hui réédité chez le même éditeur. Soit, racontée sous une forme narrative singulière, la très étrange histoire d'un publicitaire sommé par un mystérieux personnage de retrouver un mouton qui se serait « introduit à l'intérieur » de son Maître, un leader d'extrême-droite moribond. Cinq ans plus tard, paraît La ballade de l'impossible qui raconte le difficile choix d'un homme pris entre deux femmes, l'une qui représente le passé, l'autre le présent.
Parallèlement à ses romans, et tout en traduisant des livres de Fitzgerald, Carver ou Salinger il compose de nombreuses nouvelles dont le premier recueil, L'éléphant s'évapore, publié en 1993, vient d'être repris en 10/18. Murakami se montre très à l'aise dans cette forme brève, comme le confirme la parution récente de Saules aveugles, femme endormie. Il capte, dès les premiers mots, l'attention du lecteur pour l'emmener dans l'univers intérieur de ses narrateurs ou de leurs interlocuteurs car il est fréquemment question, chez lui, de récits dans le récit.
La course à pied et l'écriture
Convaincu d'être « la brebis galeuse du monde littéraire nippon », le romancier a quitté son pays au début des années 1990 pour enseigner aux États-Unis, successivement dans les universités de Princeton et de Boston. Avant de revenir vers sa terre natale cinq ans plus tard, au lendemain du tremblement de terre de Kobe. Aujourd'hui, il se partage entre le Japon, Hawaï et Cambridge, Massachussetts.
De ces multiples ancrages géographiques, on trouve des traces dans Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, dont le titre anglais What We Talk About When We Talk About Running fait référence à celui d'un recueil de Raymond Carver se terminant par About Love. Murakami y raconte son rapport à la course à pied, sport qu'il a découvert à 33 ans et qu'il pratique quotidiennement. Au fil des pages, détaillant sa préparation tant physique que mentale, il évoque quelques-unes de ses courses, notamment celle qui l'a vu parcourir cent kilomètres en un seul jour sur l'île de Hokkaido. Et ajoute qu'il participe chaque année à un marathon depuis celui effectué entre Athènes et Marathon en 1983.
Mais, surtout, dans ce livre au style extrêmement simple, l'auteur quinquagénaire commente avec une intelligence pointue et réfléchie le lien indéfectible unissant cette activité physique et l'écriture. « La plupart des techniques dont je me sers comme romancier proviennent de ce que j'ai appris en courant chaque matin », écrit-il. Car, note-t-il, si écrire est « peut-être un travail mental », c'est « fondamentalement un travail physique » qui exige « beaucoup d'énergie ». « Même si le corps n'est pas en mouvement, à l'intérieur de soi s'opère une dynamique laborieuse et exténuante », précise-t-il. D'ailleurs, au talent, la qualité première que doit selon lui posséder un écrivain, une qualité dont il n'est maître ni de la quantité, ni de la qualité, il en ajoute deux autres qui, elles, dépendent de lui, pouvant « s'acquérir et d'affûter avec de l'exercice »: la concentration et la persévérance. Deux qualités propres, également, à la course à pied.
Michel Paquot
Mai 2009
Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.
Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, traduit par Hélène Morita, Belfond, 181 pages
Saules aveugles, femme endormie, traduit par Hélène Morita, Belfond, 431 pages
La course au mouton sauvage, traduit par Patrick De Vos, Seuil, 322 pages
L'éléphant s'évapore, traduit par Corinne Atlan, 10/18, 418 pages
La ballade de l'impossible, traduit par Rose-Marie Makino-Fayolle, 10/18, 446 pages