Depuis longtemps déjà, on sait que la BD peut traiter des sujets difficiles, réels ou fictionnels. On sait aussi qu'elle peut véhiculer des messages plus ou moins engagés. C'est en tout cas un média important pour sensibiliser adolescents et adultes à certaines problématiques. Une recherche rapide sur internet montre qu'il existe des dizaines de bandes dessinées ou romans graphiques qui s'intéressent de près ou de loin aux catastrophes nucléaires, qu'il s'agisse de BD pour enfants, au dessin naïf et au ton léger, comme le tome 3 de la série Marzi, Rezistor (de Sowa et Savoia) ou de romans graphiques pour adultes qui ne cachent rien du drame, dénoncent les horreurs, dévoilent les fautes des responsables, et posent de graves questions et contiennent souvent en fin de volume un dossier documentaire très fouillé.



En France aussi, des auteurs utilisent la bande dessinée pour sensibiliser aux conséquences du nucléaire sur leur propre territoire. En 2010 est parue la bande dessinée Au nom de la bombe. Histoire secrète des essais atomiques français, de Albert Dandrov et Françoise Alarcon, consacrée aux quelque 200 essais nucléaires que l'armée française a effectués entre 1960 et 1996 dans le Sahara et en Polynésie. Une dizaine de témoignages, complétés par un dossier de photos, cartes et documents, tentent de présenter et d'expliquer la réalité qu'ont vécue les soldats et les civils. Parue également en 2010, la BD très documentée, elle aussi, Village toxique, de Grégory Jarry et Otto T., a pour sujet l'opposition des habitants du département français des Deux-Sèvres, au projet d'enfouissement de déchets nucléaires dans leur territoire.

En ce mois de juin 2011, vient de paraître aux éditions Des ronds dans l'O, la traduction française d'un roman graphique espagnol consacré à Tchernobyl : Tchernobyl, la zone. La dessinatrice Natacha Bustos et le scénariste Francisco Sánchez prennent le parti « d'observer à distance les mésaventures » d'une famille fictive, sans jamais montrer l'horreur, sans donner d'explication, sans entrer dans aucune polémique. L'histoire est surtout dessinée, quasiment sans texte. Elle se divise en trois. Dans la première, un couple âgé se réinstalle dans sa maison située dans « la zone » interdite, dont il avait été évacué des années plus tôt, au moment de l'explosion, et recommence à cultiver une terre contaminée. Dans la seconde partie, le récit fait un retour en arrière : On suit alors les enfants et petits-enfants de ce couple. Ils habitent la ville de Pripiat, à un jet de pierre de la centrale. On les voit constater de loin l'explosion et l'incendie, et continuer leur vie normalement. Puis ils sont évacués par l'armée. Dans la dernière partie, vingt ans après l'explosion, les enfants obtiennent l'autorisation de visiter les lieux qu'ils avaient dû abandonner. L'œuvre est précédée d'un texte court qui reprend les faits principaux et s'achève sur des « contenus additionnels », où les auteurs expliquent comment est né et a évolué ce projet.

20 ans après la catastrophe de Tchernobyl, en 2006, de nombreux documentaires, expositions, films ont vu le jour, tantôt pour rendre hommage aux victimes, tantôt pour questionner le monde et le sensibiliser aux risques liés à la technologie nucléaire. Dans Tchernobyl mon amour de l'auteure engagée Chantal Montellier, paru cette année-là, la journaliste Chris Winckler enquête sur la catastrophe nucléaire de 1986 et particulièrement ses côtés occultes. Elle se heurte au pouvoir, à la mafia... Avec énormément d'informations précises et objectives, sans mâcher ses mots, et avec un indéniable talent artistique, ce roman graphique commence par un rappel des faits, puis décrit, au travers des investigations de la journaliste, les conséquences dramatiques sur la population, abandonnée par les autorités qui préfèrent censurer ou déformer les informations distillées à leurs compatriotes et au monde. Mais aujourd'hui encore le danger est toujours présent, insiste l'auteur : Chantal Montellier montre les fissures qui apparaissent maintenant dans le sarcophage de béton autour du réacteur...
Claudine Purnelle
Juillet 2011

Claudine Purnelle est responsable du service Culture au Rectorat - Département des Relations extérieures et de la Communication et rédactrice en chef de Culture.