Plusieurs mois après la catastrophe survenue à Fukushima et peu de temps après la décision du gouvernement allemand de se diriger vers l'abandon progressif des centrales d'ici à 2022, le débat autour du nucléaire est plus que jamais d'actualité. Alors que les Japonais sont occupés à colmater des brèches de leurs trois réacteurs endommagés, la Belgique s'interroge sur son avenir énergétique et sur le sort réservé à ses deux centrales nucléaires.

Le Japon est le troisième pays nucléarisé au monde, derrière les États-Unis et la France. Les Japonais ont fait le choix du nucléaire au sortir de la Seconde Guerre mondiale lorsque ce type d'énergie commençait à démontrer des potentiels de production d'électricité importants. Pays sans ressources premières, le Japon souhaitait alors obtenir une indépendance énergétique tout en sachant bien qu'il était situé dans une région particulièrement à risques. Double difficulté donc : construire des centrales et établir de hauts niveaux de sécurité. Force a été de constater, le 11 mars dernier, que ces derniers n'ont pas été à la hauteur pour contrer un tremblement de terre suivi d'un tsunami.
© Christophe Mathis - Fotolia.com« Pour le moment, rien n'est encore solutionné pour le long terme, cadre Thierry Bastin, physicien atomique à l'ULg. La problématique de départ est toujours la même : les systèmes de refroidissement du combustible nucléaire ont été mis hors service, même les systèmes de secours. Les gens se battent pour assurer un minimum de refroidissement au cœur des réacteurs en injectant continuellement de l'eau. »
Pour assurer le refroidissement des barres de combustible, un circuit d'eau est maintenu en permanence dans la centrale, même lorsque celle-ci est arrêtée. Au moment du tremblement de terre, les systèmes de sécurité ont commandé l'arrêt de la production d'électricité. Les cœurs des réacteurs, eux, ont continué à produire une chaleur extrêmement importante bien que l'on ait interrompu les réactions nucléaires. Le tsunami survenu après la secousse sismique a mis hors course la circulation d'eau de sécurité et s'en est suivie une surchauffe qui a provoqué des dégagements de vapeur et des rejets de matière radioactive dans l'atmosphère.
Bien entendu, les concepteurs de centrales prévoient les plans catastrophe et ont imaginé des groupes électrogènes de secours. Le tsunami arrivant quelques minutes plus tard, ces groupes fonctionnant au diesel ont été complètement noyés puisqu'ils n'avaient pas été mis à hauteur suffisante. L'eau n'a plus circulé, le cœur du réacteur a surchauffé et le combustible a fini par fondre. Au fond de la cuve, on s'est alors retrouvé avec une masse extrêmement chaude avoisinant les 2000° C. La cuve serait-elle percée à divers endroits ? Laisserait-elle s'échapper le combustible radioactif ? Il reviendra aux autorités nipponnes de lever les suspicions qui planent.
Aujourd'hui, sur le site de la catastrophe, l'enjeu est simple : asperger d'eau les cœurs de réacteurs. « On n'a toujours pas remis en fonctionnement un système de refroidissement normal ! On pourrait se dire : ça a dû se refroidir avec toute l'eau qu'on a mise. Non : la chaleur reste extrêmement importante. Un combustible usagé est placé en piscine et y reste plusieurs années. » Les hommes continuent de s'affairer au voisinage de la centrale et sont exposés à la radioactivité. Chaque ouvrier possède un dosimètre et est, selon les services de sécurité japonais, remplacé lorsqu'il a atteint une dose critique. « Certaines zones sont tellement irradiantes que ces hommes ne peuvent rester qu'un temps très bref, explique Thierry Bastin. Il existe des endroits dans lesquels on ne peut pénétrer que maintenant. On ne peut pas approcher les cœurs des réacteurs en toute sécurité, donc on est toujours obligé de faire du bricolage. » Plusieurs années seront nécessaires pour que la chaleur produite tombe à des niveaux raisonnables.

« Toutes les centrales au monde sont confrontées à la même problématique : il faut continuer à assurer le refroidissement des barres de combustible. La probabilité de la survenue d'un accident similaire est extrêmement faible, mais aucun exploitant de centrales ne dira qu'elle équivaut à zéro. » Preuve en est lors de la catastrophe survenue en 1979 à Three Mile Island aux États-Unis. Un accident similaire à celui de Fukushima – dû à un défaut du système de refroidissement – a éclaté alors qu'aucun tsunami ni tremblement de terre n'avait eu lieu. Aucun rejet significatif de matière radioactive n'a été enregistré, mais 12 annés ont été nécessaires pour résoudre définitivement le problème.
Une population de 80 000 personnes habitant dans un rayon de 20 km autour de la ville de Fukushima a été évacuée sur-le-champ. De ce point de vue, les autorités japonaises ont agi correctement et ont pris conscience, les deux ou trois jours suivant la catastrophe, qu'ils se dirigeaient vers un gros problème. Le gouvernement a ensuite attendu les données relatives aux retombées radioactives afin de savoir s'il y avait lieu d'évacuer villes et villages au-delà du premier rayon. « Ils doivent le faire, mais pas nécessairement dans un cercle autour de Fukushima, précise Thierry Bastin. Avec les relevés réguliers de radioactivité déposée au sol, les Japonais ont constaté qu'il existait, par rapport à la centrale, un axe nord-ouest particulièrement affecté compte tenu des vents qui ont soufflé dans le courant du mois du mars. » Jusqu'à 50 km autour de la ville, l'on constate des retombées importantes.
Au niveau de Tokyo, située à environ 200 km au sud des centrales endommagées, les contaminations au sol et le niveau de radioactivité ambiante sont tout à fait sans danger à ce stade-ci. « Il faut bien se rendre compte qu'à 40 km de la centrale dans l'axe nord-ouest, on a des zones qui sont aussi contaminées au sol que les zones les plus contaminées après l'accident de Tchernobyl ! Globalement, on estime actuellement que l'accident de Fukushima a donné lieu à des rejets dans l'atmosphère du dixième de Tchernobyl. Cela ne veut pas dire que, localement, il n'existe pas des endroits qui aient reçu des contaminations particulièrement importantes. »