Nucléaire - colère ou renoncement
Inutile de dire que ces changements dans la conscience des Japonais n'auraient pas vu le jour si les incidents de Fukushima n'avaient eu lieu. Ne parlons plus des différents degrés de médiatisation des faits entre le Japon et d'autres pays. Il faudrait juste dire et confirmer que les informations « officielles » n'en représentent qu'une partie et qu'elles sont de toute façon partiales. Triste réalité à reconnaître, mais il faudrait se réveiller avant qu'il ne soit trop tard.
À l'heure actuelle, les problèmes des réacteurs n'étant toujours pas réglés, les experts du domaine envoyés de différents pays analysent la situation et s'efforcent de trouver des solutions. Les habitants, eux, ne cachent pas leur colère, mais d'un autre côté, ils savent qu'il faut accepter. Pendant que des discussions concernant « les futures sources d'énergie possibles » se multiplient, les habitants de Fukushima ne peuvent pas dire automatiquement « non » au nucléaire, étant donné que la présence de la centrale enrichissait la région entière. Non seulement les travailleurs directs, il y avait aussi de l'économie environnante, des écoles, des bibliothèques et donc des possibilités d'emplois... en réalité, tout un plan urbain dépendait de l'existence de la centrale.
Et maintenant
Cela ne veut point dire que les Japonais doivent continuer à subir, bien au contraire !
Heureusement, il y a du vent qui rafraîchit l'esprit des Nippons et qui les encourage à avancer avec fermeté. Le 9 juin dernier, le romancier Haruki Murakami nous a rappelé, dans son discours lors de la remise du Prix international de Catalogne à Barcelone, que le Japon, première victime des bombes atomiques il y a 66 ans, n'aurait jamais dû accepter l'énergie nucléaire. Il y a même une épigramme sur le monument à Hiroshima : « Reposez en paix, nous promettons de ne plus recommencer nos erreurs ». Il faut, continue le romancier, que l'on dise la même phrase aux victimes du 11 mars, et que l'on s'interroge : « Pourquoi ? Comment, malgré cette triste leçon que la vie nous avait donnée, avons-nous pu réitérer nos erreurs ? ».
Le romancier, qui se définit avec ironie comme « rêveur non réaliste », affirme aussi, d'une manière pourtant très réaliste, que le peuple japonais doit admettre sa part de responsabilité dans ce qui a eu lieu. En acceptant le plan d'énergie nucléaire, en continuant à croire en la propagande de la sûreté et surtout en s'endormant dans un mode de vie de surconsommation, le peuple qui bénéficiait de l'énergie (qu'il croyait) abondante est également coupable. Ce message de Murakami a touché la sensibilité des Japonais, car chacun s'est senti concerné, et c'était justement le sujet que l'on essayait de ne pas aborder.
Un réel soutien - le cœur, la pensée
Depuis la catastrophe, le Monde s'est bougé d'une manière directe ou indirecte pour aider et encourager le Japon. Ces dernières semaines étaient un véritable marathon (le sens de compétition y est bien compris) des actes de solidarité. Il n'est pourtant pas toujours aisé de bien choisir comment aider, et avec quelle finalité. La récolte des dons se fait dans les quatre coins du monde, c'est un acte plus simple à effectuer et très respectable. Cependant, l'on ne peut pas connaître le destinataire final.
En partant de ce dilemme – je veux aider, mais je ne sais pas comment –, les étudiants qui apprennent la langue et la civilisation japonaises au Centre d'Études japonaises (CEJ) de l'Université de Liège se sont mobilisés moralement, en réalisant trois mois durant un projet de lettre de soutien, en traçant avec leur propre pinceau fraîchement japonisé, des mots de soutien en japonais, suivis de leur prénom en katakana.
Ce modeste projet a été lancé par moi-même dans un cours de japonais, dans le cadre de la mise en pratique de la maîtrise de l'écriture japonaise. Au stade initial, nous ne savions pas vraiment où cela nous mènerait. Néanmoins, au bout de trois mois, le cœur d'une quarantaine d'étudiants, bouleversés devant de telles images poignantes du Japon, et voulant faire quelque chose, a pris enfin une forme, bien ronde et bien chaude. Notre projet a intéressé le deuxième journal du Japon, Asahi Shimbun, et le reportage sur la réalisation de notre lettre a été publié dans une édition nationale du Japon le matin du 7 juin dernier.

Un des motifs de mon voyage au Japon était bien d'envoyer notre lettre de cœur en taxi-post, directement de l'aéroport de Narita. La lettre est bien arrivée à une école primaire de Fukushima et nos petits destinataires ont été agréablement surpris par la sincérité des messages venant de Belgique et surtout par la maîtrise de l'écriture japonaise des amis du pays du chocolat.
Le 11 mars, c'est surtout le tremblement de terre et le tsunami. Ce sont des désastres naturels. Le 11 mars, c'est aussi la centrale nucléaire. C'est un désastre humain. Les médias en parlent de moins en moins, mais encore à ce jour, la terre tremble au Nord du Japon et encore 120,000 personnes sont dans les centres d'évacuation. La chaleur d'été approchant à grand pas, on ne voit pas l'autre bout de tunnel. Ce sera une bataille de longue durée...
Le soutien dont les Japonais ont réellement besoin, c'est surtout un soutien moral. Savoir que les gens pensent à eux les soutient de l'intérieur. Pouvoir sentir qu'ils ne sont pas oubliés, ni évités, ni détestés les encourage énormément et les aidera à passer le cap – un cap difficile – mais qui a pu éveiller un bon sens auquel toute civilisation devra être sensible, pour, justement, ne pas recommencer certaines de ses erreurs.
Kanako Goto
Juillet 2011

Kanako Goto enseigne la langue et la littérature japonaises à l'Université de Liège. Elle s'intéresse au problème de la réception de la culture japonaise, notamment à travers la traduction des œuvres littéraires.
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