Pierre Jourde - C'est la culture qu'on assassine
culture

Pierre Jourde s'était fait pas mal d'ennemis, en 2003, avec un essai au vitriol : La Littérature sans estomac, dans lequel il fustigeait le vide de la littérature contemporaine, prenant pour cible des écrivains comme Angot ou Toussaint. Universitaire (spécialisé dans la littérature de la fin du 19e siècle), il est aussi romancier, auteur notamment de Paradis noirs (Gallimard, 2009), sorte de Grand Meaulnes du 21e siècle, et conteur – on ne saurait trop recommander son Tibet sans peine (Gallimard, 2008) qui raconte avec autodérision ses périples pédestres dans l'Himalaya. Avec C'est la culture qu'on assassine, c'est la même verve décapante que l'on retrouve. Cette fois il ne s'agit pas seulement de littérature : Jourde lui consacre les deux parties finales du livre parce que la littérature reste pour lui le meilleur moyen de résister contre la « crétinisation ». Il s'agit de culture au sens large. La culture telle qu'« assassinée » par les médias, l'éducation et la politique, les pouvoirs économiques. Le constat est évidemment sévère, passablement « réac » mais assumé comme tel – la réaction tient chez Jourde de l'insoumission radicale : « Le pays de l'ironie, de la satire, de l'esprit frondeur tend à devenir le royaume des béni-oui-oui. » La faute en revient aux politiques, mais aussi, de manière plus générale, aux institutions qui ont renoncé à leur mission au nom des valeurs marchandes. La télévision, plus que jamais, asservit au lieu d'émanciper. L'école publique abêtit, au nom d'une idéologie « pédagogiste » faussement progressiste. L'université devient un « monstre bureaucratique » davantage préoccupé par la mise en place d'« usines à gaz » (comme celle de l'évaluation) que par la formation du véritable esprit critique – Jourde note en passant qu'avec les critères de bibliométrie actuels, « Einstein ou Bakhtine auraient du mal à obtenir une augmentation ou des crédits de recherche ». Particularité de cet essai dérangeant, qui en explique le ton vif et incisif, libre et enlevé : il est la refonte des interventions de Pierre Jourde sur le blog qu'il anime sur le site du Nouvel Observateur Confitures de culture » : http://pierre-jourde.blogs.nouvelobs.com). Livre passionné donc, qui réactive la polémique au sens noble du terme, celle qui est une « manière de rendre possible le débat, non de le clore. »

Jean-Pierre Bertrand
Juin 2011

Pierre Jourde, C'est la culture qu'on assassine, Paris, Balland, 2011, 288 p. Préface de Jérôme Garcin.

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