Alan Pauls, né à Buenos Aires en 1959, passe pour un des écrivains majeurs de la jeune littérature argentine, auteur déjà d'un grand nombre de romans et d'essais (dont un sur Borges), pour la plupart traduits en français. Le Passé constitue assurément son chef-d'œuvre. Roman-fleuve, il raconte la séparation douloureuse d'un couple, Rímini et Sofía, après douze années de bonheur. S'il n'était que cela, il serait d'une banalité confondante. C'est tout un monde qui se met en place autour du personnage de Rimini, un monde habité justement par ce passé dont il est incapable de se défaire. Il a beau se perdre dans son métier de traducteur, dans la drogue ou dans des aventures amoureuses qui le précipitent à chaque fois un peu plus dans la déchéance, c'est l'image et la présence-absence de Sofía qui réapparaît, par des lettres, par des rencontres fugaces et surtout par une masse de photographies de leur passé que Rimini, à la fin du roman, se met à classer désespérément, « cette Sofía vivante, organique, si présente que même s'il l'avait supprimée, elle aurait laissé vacant l'espace physique qu'elle occupait dans le monde » (p. 599).  Au cœur de ces souvenirs, il y a la figure d'un peintre imaginaire, Riltse, qui hante le couple autant qu'Elstir (l'anagramme le rappelle) a pu fasciner le Narrateur de La Recherche. Personnage-pivot qui fait basculer le récit dans le tragique, mais qui aussi situe le roman de Pauls comme une réplique de l'œuvre de Proust, qu'il réécrit d'une certaine manière, avec une comparable faculté d'analyse et une maîtrise exceptionnelle de la phrase qui fouine les moindres recoins de la mémoire. « Le roman d'amour le plus étonnant qu'on ait lu depuis bien longtemps », concluait le magazine Lire - c'est si peu dire.