
Marc Augé, l'anthropologue des mondes contemporains, comme il s'est lui-même défini, il y a plus de vingt ans, quand il hantait le métro parisien pour mieux comprendre la société en cours de mondialisation et la ville en pleine métropolisation, interroge notre monde de fiction avec les outils des sciences humaines.
Les textes réunis dans ce petit volume ont été écrits entre 1992 et 1997 pour le Monde diplomatique, pour des reportages télévisuels ou encore pour des communications à des colloques. Ils sont aujourd'hui regroupés en trois sections intitulées Reportages, Clichés et Promenades en ville et l'ensemble constitue un itinéraire intéressant pour qui veut comprendre « ce qui met en mouvement les touristes » et surtout la transformation que ceux-ci opèrent dans un monde où l'effet de réalité est plus important que le réel. Pour Augé, nous vivons une époque qui met l'histoire en scène, qui en fait un spectacle et, en ce sens, déréalise la réalité – qu'il s'agisse de la guerre du Golfe, des châteaux de la Loire ou des chutes du Niagara. L'anthropologue semble ainsi répondre au romancier anglais en nous donnant une clé de lecture précieuse : England, England ne serait ainsi rien d'autre qu'un roman d'anticipation...
Après nous avoir conduits de Disneyland à La Baule et aux Center parcs, du mont Saint-Michel à Waterloo et aux Châteaux de Louis II, Marc Augé, devenu moins optimiste en ces temps de crise, nous balade en ville, entre imaginaire et fiction, pour nous livrer, à son tour, en guise de conclusion son propre roman – disons sa nouvelle – d'anticipation, qui aurait pu s'intituler Paris, Paris : une ville désormais sans habitants ou presque (nous sommes en 2040) qui ressemble furieusement à l'Île imaginée par Sir Jack Pitnam, entièrement « Disneylandisée », un décor d'opérette ou, c'est plus juste, la scénographie d'un vrai cauchemar post-post-moderne.
L'anthropologue distingue heureusement le vrai voyage du voyage touristique, comme pour ouvrir – de justesse – une promesse de lumière, une possibilité que le titre du livre, franchement sombre, ne semble pourtant pas autoriser. Et je m'en suis rappelé en lisant le magnifique texte de Sartre, La reine Albemarle ou le dernier touriste, ce « livre inexistant » comme l'appelle avec humour Michel Contat. Bien sûr, ce livre sur l'Italie, que l'auteur de la Nausée aurait voulu gros de mille pages, n'en compte malheureusement que deux cents et reste fragmentaire. Mais Sartre en anti-touriste nous parle de Rome, Venise, Naples et Capri comme on ne l'avait jamais fait et, en psychanalyste existentiel, nous offre bel et bien la possibilité d'un vrai voyage philosophique et littéraire.
Stéphane Dawans
Juin 2011