
Le Dernier Stade de la soif est un grand roman américain, enfin accessible au public francophone. Cette biographie transposée que publia Frederick Exley en 1968 se savoure comme un enregistrement de Charlie Mingus : elle a en commun avec cette musique la sombre jubilation, le mordant, l'énergie du désespoir – qui est souvent la plus puissante, la détresse aussi. Il y est question d'alcoolisme, de dépression, d'internement psychiatrique, de fanatisme footballistique ; afin de donner le contrepoint de cette œuvre atypique, on invoquera en toute logique les mânes de Bukowski et d'autres lumineux loosers tels que seules les lettres américaines purent en fournir. Mais à bien y regarder, on s'aperçoit qu'Exley n'est pas dans la mouvance de la « poésie barfly » ; il en est en fait l'un des premiers germes. À lui seul, il démontre que la déchéance peut aussi être un grand mythe américain.
Frédéric Saenen
Juin 2011