
Certains écrivains écrivent, d'autres s'écoutent parler. Le narrateur de Franz Bartelt vient de publier son premier roman, il est invité dans les studios d'une chaîne radio, il rechigne, l'animateur insiste... alors il accepte. Un nœud se forme dans ses tripes, il sait qu'il n'est pas un orateur, qu'il bafouille facilement devant un micro. Son roman, il a mis des années à le peaufiner, ce n'est pas pour l'exécuter en cinq minutes sur antenne entre deux publicités. Il arrive dans les studios où trois spécialistes participent également à l'émission. Les micros ouverts, les invités causent, longuement. Le spécialiste du temps le dépasse, l'animateur ne laisse plus qu'une poignée de secondes à l'auteur pour expliquer le livre, il n'a pas le temps de lire son papier, il doit improviser, il hésite, reprend sa respiration, lâche quelques phrases maladroites, inachevées, trop tard, les annonces commerciales sont balancées sur antenne. Les spécialistes s'en vont, oubliant de le saluer, il rejoint seul la gare de l'Est...
Cette fable met en scène un écrivain de province qui survit grâce à des piges dans les gazettes locales et qui publie son premier roman, autobiographique donc, celui de l'enfance, et qui découvre un milieu peu enclin à accepter les étrangers au sérail. Fable grinçante qui peut se lire comme le procès du miroir aux alouettes que représentent les émissions littéraires où sévit une faune parisienne et, parfois, intellectuelle ; des écrivains fricotent sur des plateaux pendant que d'autres tricotent leurs livres en s'excusant de ne pas causer entre deux mailles. Le ton est caustique et l'auteur rappelle que l'écriture est d'abord l'art du silence, du recueillement. « Il y a un abîme entre se taire et ne pas parler » précise-t-il ! Il s'agit également d'une radiographie de l'impuissance au quotidien, de l'anéantissement psychique dont on ne sait si l'individu peut s'en sortir, même par l'écriture. Franz Bartelt nous livre ici un récit d'une tristesse nue, d'une enfance âcre, mais où le bonheur a le dernier mot.
Juin 2011