Jeremy Rifkin - Une nouvelle conscience pour un monde en crise
conscience
Une fois n'est pas coutume : il n'aura fallu que quelques mois pour que, après sa parution en anglais aux éditions Polity, « Les Liens qui Libèrent », nous proposent depuis ce mois d'avril la version française de ce nouvel opus de J. Rifkin.

La formule de travail de l'auteur est décidément bien rôdée : comme avec ses La fin du travail, L'âge de l'accès : La nouvelle culture du capitalisme ou encore, disponible en français, Le rêve européen : Ou comment l'Europe se substitue peu à peu à l'Amérique dans notre imaginaire, une petite dizaine de collaborateurs se partagent les chapitres mis en chantier, collectent les informations pertinentes, se rassemblent autour d'un J. Rifkin-homme-orchestre qui, bien entendu, est à la barre de la manœuvre rédactionnelle. Résultat ? Un ouvrage qui, sans guère de doute et comme les précédents, suscitera des controverses, surtout pour le public le plus critique qui soit – celui des hommes et des femmes qui évoluent dans les académies – mais qui sera lu avec beaucoup de curiosité, à n'en pas douter, par ceux et celles que l'on pourrait décrire, classiquement, comme des « honnêtes hommes » et des « honnêtes femmes », à l'écoute de commentaires disons enchantés (plutôt que désabusés) sur nos conditions actuelles d'existence.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas le personnage, il convient de relayer quelques critiques : lobbyiste américain (il a été, notamment, un conseiller particulier du premier ministre grec actuel, également conseiller au sein des institutions européennes), à la tête d'un think tank lui aussi bien américain (par son objectif de disséminer et d'agiter des idées-hors-des-sentiers-battus), le voici suspecté tour à tour d'exercer son influence personnelle, d'éclectisme puisqu'il passe (très) allègrement d'une discipline à une autre, quand ce n'est pas tout simplement de faire usage d'une bonne grosse propension à faire de la prospective quelque peu hasardeuse... À décharge en revanche : au départ d'un fond commun de connaissances partagées par chacune des disciplines mobilisées, il tisse ces dernières avec un fil rouge qui lui est propre, l'étoffe intellectuelle ainsi produite étant ainsi d'une facture toute originale ; deuxième caractéristique : son métier à tisser est bien moins à l'image d'une boule de cristal (comme ces contradicteurs le soutiennent parfois), qu'à celle d'une machine à dégager des dystopies, des lignes de force ou des tendances lourdes pour notre futur, à les prendre foncièrement au sérieux et à proposer à leur suite des utopies réalistes (si nous nous décidions de les assumer ; et parfois aussi quelque peu enchanteresses il est vrai).

Quel est le fil rouge et la dystopie de Vers une civilisation de l'empathie ? Le fil rouge tout d'abord. J. Rifkin passe en revue l'essor et de déclin – le rise and fall – de quelques grandes civilisations en resituant ce mouvement au cœur de l'économie énergétique de chacune d'elles : l'eau pour la Mésopotamie, le bois pour l'Europe médiévale, les énergies fossiles pour l'Europe depuis le 18e... La dystopie : il montre – selon un schéma de pensée un peu évolutionniste il est vrai – qu'à chaque économie énergétique correspond une extension, un élargissement de la conscience individuelle ; et ce n'est pas une mince affaire que de repérer les prémisses, avec l'économie énergétique qui s'annonce – celles du « renouvelable » –  d'une conscience plus ouverte encore sur l'Autre et sa situation particulière, une conscience qualifiée d'empathique, qui supplante une conscience de la compassion charitable, ou, plus loin encore de nous, une conscience de l'affrontement... (proposition bien congruente s'il en est avec la découverte, en neuro-sciences, des neurones miroir !).

Au total, voici un ouvrage captivant quant au fond ; passionnant également, pour le sociologue que je suis, tant Jeremy Rifkin est écouté par les élites et tant il est vrai aussi que dans des situations de crise, il est plus que nécessaire de savoir « comment les élites bougent ».

Claude Macquet
Juin 2011

Jeremy RIFKIN, 2011, Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l'empathie, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Françoise et Paul Chemla, Paris, LLL-Les Liens qui Libèrent - Essai