Des études épidémiologiques ont mis en évidence une corrélation statistique entre le développement d'un certain type de leucémie et l'exposition à des champs magnétiques de très basse fréquence. Bien que les très nombreuses études en laboratoire n'aient encore pu démontrer une relation de causalité entre les deux phénomènes, des acteurs de la société civile s'en émeuvent et revendiquent des normes plus strictes. Nous avons rencontré Jean-Louis Lilien, spécialiste de ce domaine, membre du Belgian BioElectroMagnetic Group (BBEMG)1 qui a bien voulu nous donner son avis de scientifique sur la question, avis que nous présentons dans ce texte.
La controverse que nous développerons dans cet article est liée aux effets des champs électromagnétiques de très basse fréquence (TBF = inférieure à 3 kHz, en particulier, la fréquence du réseau électrique : 50 Hz en Europe et 60 Hz aux USA) sur la santé. Mais que sont ces champs ? Les champs de très basses fréquences sont liés à l'électricité de tous les jours (comme l'éclairage) à la différence des champs de plus hautes fréquences (de l'ordre du MHz, voir du GHz) qui sont liés aux wifi et GSM, par exemple. Les deux domaines de recherche sont distincts (et dans ce texte, ce sont les TBF qui seront analysées).
Mémoire de la controverse
Une importante polémique est à l'œuvre depuis plus de trente ans. Elle porte sur la relation particulière entre les champs électromagnétiques et la santé publique. Partons de l'origine de la controverse. Au départ, une problématique venant initialement de Russie puis une publication américaine (Wertheimer, Leeper, 1979) mettent en exergue, pour la première fois (alors que l'électricité à TBF existe depuis une centaine d'années), une hypothèse de recherche soulevant une relation potentielle entre les lignes à haute tension, les câbles souterrains et la santé. Cet article est discrédité, dans un premier temps, par les industries électriques, qui qualifient la controverse de farfelue. Cependant, interpellée par cette controverse, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) commence à s'en préoccuper, au même titre que les organismes normatifs et les politiques. Des études épidémiologiques sont alors lancées.
L'objectif des études épidémiologiques telles que celles menées par Wertheimer et Leeper, à l'origine de la controverse, était de comparer un groupe de personnes malades avec un groupe de personnes saines. Le travail des chercheurs consistait à établir une liste de facteurs qui pourraient différencier les deux populations et ainsi, peut-être, expliquer l'origine d'une maladie. Les deux chercheurs précités ont identifié les codes de câblage (le fait de « voir » des lignes à haute tension depuis leur domicile) comme facteur susceptible de différencier les deux groupes.
De nombreuses recherches ont été réalisées et leurs résultats tendent à confirmer qu'il y aurait chez les jeunes enfants (âgés de zéro à quatorze ans) un doublement du risque de contracter une leucémie particulière (lymphoblastique aiguë - ALL) si ces enfants ou ce groupe particulier est soumis en moyenne annuelle à un champ supérieur à 0,4 microtesla (environ dix à vingt fois le champ ambiant des habitations situées loin de sources électromagnétiques). Mais les études épidémiologiques, si elles permettent parfois d'établir un lien statistique, ne permettent cependant pas d'établir directement une relation de cause à effet. De plus, de nombreux paramètres doivent être pris en compte dans les choix des populations étudiées et en particulier dans la mise en place du groupe contrôle afin d'éviter les facteurs confondants. Comme le souligne Lilien, la plupart de ces études épidémiologiques ont été effectuées très correctement.
Cependant, les études épidémiologiques, qui observent une augmentation limitée du risque (un facteur 2 dans ce cas-ci, et pas un facteur 5, 10 ou plus, comme dans le cas d'autres « polluants », tels la cigarette, les formaldéhydes ou autre facteur chimique) doivent être corroborées par des études en laboratoire (études « in vivo » et « in vitro ») avant que leurs résultats puissent être réellement utilisés.
Or, les résultats de ces recherches ont été retentissants au point que, aujourd'hui encore, des acteurs de la société civile se bornent à les mettre en exergue alors qu'ils n'ont pas été confirmés par les recherches en laboratoire.
L'OMS et les organismes spécialisés dans l'analyse des agents pathogènes (comme le CIRC ou l'ICNIRP) ont dû réagir face à ce constat d'un doublement du risque de leucémie (ALL) : ils analysent de manière récurrente l'ensemble de la littérature scientifique à ce propos mais n'ont rien trouvé de probant pour l'heure. Parallèlement, de nombreux centres de recherche se sont également penchés sur cette problématique. Des milliers de publications existent désormais sur le sujet.
Le doublement du risque (facteur 2) n'est pourtant pas suffisant pour affirmer qu'il s'agit d'un problème de santé publique. Si l'on prend par exemple la cigarette, le risque de cancer du poumon pour un fumeur est multiplié par 13 chez la femme et par 23 chez l'homme2 (comparativement à une population ne fumant pas). Avec la cigarette, le risque est évident. Par contre, pour un risque « facteur 2 », même si « deux fois plus de risque » semble important, il reste relativement faible par rapport à d'autres risques.
L'OMS, confronté à un risque « facteur 2 », décide donc de passer le relais (EMF-project de l'OMS) aux scientifiques du monde entier afin de trouver une relation causale entre l'augmentation de la leucémie (ALL) et l'exposition aux champs magnétiques, au départ d'études biologiques (in vitro et in vivo), l'objectif étant de rechercher le mécanisme d'action dont nous avons parlé plus haut. Il convient donc de faire la preuve scientifique que le lien statistique avec l'augmentation du risque de la leucémie (ALL) est un lien causal.
1 BBEMG : www.bbemg.ulg.ac.be 2 http://lungcancer.about.com/od/whatislungcancer/a/lungcancerstats.htm