1941-2011 : 70 ans de Théâtre Universitaire à Liège

Préhistoire

La naissance officielle du Théâtre Universitaire Liégeois est datée d'avril 1941. Cela ne signifie pas que les étudiants liégeois ne montaient pas sur les planches auparavant, car, comme le théâtre est né avec la civilisation, ainsi le théâtre à l'université a vu le jour avec les plus anciennes universités dans toute l'Europe, de Paris à Coimbra ou Vilnius. L'ULg, pour plus récente qu'elle soit, n'échappe pas à la règle.

Ici, il s'agissait, dans les premiers temps, de spectacles proposés par des étudiants sous forme de « revues » ou « cabarets » que produisaient occasionnellement, e.a., des étudiants en Droit ou en Sciences appliquées, mais aussi la Fédération des Étudiants Libéraux Universitaires de Liège ou l'Union des Étudiants Catholiques Liégeois. On peut citer aussi la création, en 1925, des « Compagnons de Saint Lambert », un groupe d'étudiants catholiques présidé par Henri de Mévergnies, Professeur à l'ULg, et animé par Paul Fasbender, un prêtre dominicain.

C'est dans les années 1930 que fit sa percée le théâtre stricto sensu, sous la forme de représentations théâtrales : mises en scène de textes d'auteurs dramatiques. Ces manifestations furent d'abord le fait du Cercle de Philosophie et Lettres, mais aussi, par émulation (contagion ?), du Cercle des Romanistes, des Classiques et des Germanistes (le « Debating », dont il sera question plus loin).

Période bien active au demeurant, à en juger par une belle liste de pièces représentées entre 1932 et 1940 : Les Fourberies de Nérine (Théodore de Banville), La Dame de bronze et le monsieur de cristal (Henri Duvernois), Pylade (Legendre), Le Procès de Catilina (Jules Labarbe), Le Roi ne s'amuse pas (Joseph Duysenx), des extraits d'Horace, d'Antoine et Cléopâtre (Shakespeare), de Cinna (Corneille) et du Songe d'Auguste (Musset). Mais on trouve aussi, dans des archives très éparses, les noms de Tchékov, Gide, Supervielle ou Shaw...

Les chevilles ouvrières de ces spectacles étaient alors, pour la plupart, des étudiants dont beaucoup devinrent par la suite des personnalités reconnues : citons, en vrac, les Jeanne Wathelet, René Hainaux, Alexis Curvers, Fanny Thibout, François Duysinx, Marcel Hicter, Jules Labarbe... Ils étaient souvent aussi animés par de distingués Professeurs comme Jean et Rita Lejeune, Maurice Delbouille (Romane) ou Jean Hubaux (Classique).

On ne peut pas terminer ce chapitre « Préhistoire » sans rappeler que ces préoccupations théâtrales à l'université existaient aussi chez nos voisins de Paris, où se distinguaient le « Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne » (GTA), avec Roland Barthes, et les « Théophiliens », avec Gustave Cohen (lui-même éminent Docteur de l'ULg). Des échanges eurent même lieu (1935-1936) entre les deux Universités : les « Théophiliens » de Cohen vinrent présenter à Liège, en 1935, au Trianon, Le Miracle de Théophile (Rutebeuf) et Le Jeu de Robin et Marion, tandis que, en 1936, les étudiants de Jean Hubaux emmenaient à la Sorbonne des petites pièces anonymes du Moyen Âge : une Nativité, Le Fabliau de la Veuve et La Farce du garçon et de l'aveugle.

Cette « excursion » parisienne présageait bien des grandes tournées internationales que vivrait le futur TULg  à partir des années 70 : 39 pays visités à ce jour sur quatre continents. Y eut-il une relation de cause à effet entre le début de la guerre et le grand succès que rencontra en 1940 la création de L'Histoire du soldat d'Igor Stravinski par René Hainaux, alors étudiant, à la suggestion du Professeur Maurice Delbouille ? On peut en tout cas considérer que cette production clôt la préhistoire de ce qui allait devenir le Théâtre Universitaire Liégeois, plus familièrement le TULg, en 1941.

L'ère Jean HUBAUX : 1941-1957

Le succès public certain de ces aventures théâtrales et l'enthousiasme des participants ne pouvaient que porter à persévérer, et les circonstances historiques que vivait Liège en cette fin 1940 semblent même avoir contribué à stimuler cette envie.

Jean Hubaux (1894-1959) lui-même écrivait que, en décembre 1940, quelques étudiants viennent frapper à sa porte en déclarant : « Monsieur Hubaux, depuis qu'on est rentrés de France, on s'ennuie. Les Allemands font tout ce qu'ils peuvent pour nous embêter. Secouons-nous ! Montrons-leur que nous avons encore quelque chose dans le ventre ! ». 1 Et ainsi se constitua, sous la houlette de Hubaux, une troupe d'une trentaine d'étudiants provenant de Philologie classique, de Romane ou d'Histoire, qui mirent en chantier Les Bacchantes d'Euripide. Le mot chantier n'est pas trop fort puisque tout fut entrepris par la troupe elle-même : de la traduction du texte grec à la musique originale « à l'antique » (François Duysinx) et la chorégraphie des chœurs (Fanny Thibout). Après trois mois de travail intense, le spectacle fut créé le 25 avril 1941, dans la Salle académique de l'ULg, devant un parterre émaillé de quelques uniformes vert-de-gris. Ces occupants allemands comprirent-ils vraiment toutes les répliques adressées par le chœur à Penthée, tyran de Thèbes, comme celle-ci, par exemple : « La force triomphe, mais c'est pour peu de temps. Notre cause est pure, les dieux châtieront l'homme brutal qui nous opprime. Ils nous donneront une belle victoire » ; ou d'autres tout aussi cinglantes qui ne pouvaient qu'évoquer un parallèle avec la situation du peuple liégeois sous la botte nazie. Le fait devient cocasse quand on sait que, quelques mois auparavant, la Kommandantur avait interdit au Cercle des Germanistes, le Debating Club, de jouer une pièce de Charles Morgan (1894-1958), The Flashing Stream, au simple prétexte que l'auteur était britannique... Les voies de la Censure sont impénétrables.

Les Bacchantes 1941 avec Hubaux
Les Bacchantes avec Jean Hubaux

En tout cas, les Bacchantes hantèrent encore quatre fois la Salle académique, les 26 et 30 avril et les 1er et 7 mai.

Tout cela fut à l'origine de la création d'un très officiel « Cercle interfacultaire de Théâtre de l'Université de Liège », dont la présidence fut confiée par les autorités académiques au latiniste distingué, le Professeur J. Hubaux, et que l'on appela rapidement, pour faire court, le « Théâtre Universitaire Liégeois », concernant donc désormais toutes les Facultés et Sections de la Maison. C'est ainsi un tout nouveau TULg qui allait présenter ses Bacchantes en 1942, toujours en pleine guerre donc, à Verviers, salle Palace, les 28 février, 1er et 6 mars, et organiser une reprise à la Salle académique de l'ULg les 7 et 12 mars.

Au lendemain de la guerre, en 1946, les Bacchantes seraient encore de sortie au Conservatoire de Liège, mais aussi au Palais des Beaux Arts de Bruxelles, à la Sorbonne à Paris et au Théâtre de Verdure de Flémalle. Bref, elles connurent donc 15 représentations, et cela en des temps bien difficiles : ce n'est pas leur manquer de respect que de dire de ces Bacchantes qu'elles avaient la peau dure ! Ce seront d'ailleurs encore elles qui allaient servir à fêter, en 2001, le soixantième anniversaire du TURLg, dans une mise en scène toute nouvelle et plus moderne.

Les Bacchantes 2001 2
Les Bacchantes en 2001

La Tempête de Shakespeare fut ensuite à l'affiche, toujours en pleine guerre (1943), et présentée dans la salle de l'Émulation. Dans sa distribution, on relève des noms comme Michel Toussaint, futur Ministre de l'Éducation, ou Lise Thiry, la célèbre virologue, tous deux alors étudiants à l'ULg.

Et c'est avec un à-propos certain que, dès la Libération, en 1944, Hubaux choisissait de travailler à une comédie cette fois, au titre bien évocateur : La Paix d'Aristophane, dont la première eut lieu le 4 mars 1948, à l'Émulation toujours, salle qui allait rester un bon moment la salle de prédilection du TULg. La pièce connut aussi les joies de la tournée en étant présentée en 1948 et 1949 à Charleroi, Paris et Saint-Étienne.

À partir de ce moment, il serait vite fastidieux de citer toutes les productions par le menu. Notons d'abord que le répertoire va se diversifier, et citons en vrac : La Machine à calculer d'Elmer Rice (1949, dans une mise en scène de Jean Hubaux, avec, notamment, les jeunes René Godefroid, Georges Konen et Henri Mordant, deux futures gloires de la RTB(F), et reprise en 1955, dans une mise en scène de G. Konen), Jules César de Shakespeare (1950), L'Admirable Crichton de J.M. Barrie (1952), Les Euménides d'Eschyle (1954, en hommage à J. Hubaux, mise en scène de Fanny Thibout et François Duysinx), La Guerre de Troie n'aura pas lieu de Giraudoux (1955, mise en scène de Georges Konen), Macbeth de Shakespeare (mise en scène de J. Hubaux).

Notons aussi, et c'est tout aussi important, que des collaborations s'installent régulièrement avec des théâtres professionnels : l'Étuve, d'abord, ce théâtre liégeois apparu au début des années 50 (Jean Schlag, Jean Mottard, Madeleine Rey...), où on joue du « contemporain », mais aussi jusqu'au Théatre National (les Huysmans), ou au Théâtre du Parc qui, à Bruxelles, portent désormais un nouvel intérêt et un nouveau regard sur les classiques grecs et Shakespeare. Le fait n'est d'ailleurs pas propre à Liège : à Paris aussi, le Théâtre antique de la Sorbonne eut une influence attestée sur le répertoire du théâtre professionnel ; de même qu'en Allemagne, le premier Festival international de Théâtre Universitaire d'Erlangen, créé en 1946-47, bouscula - et de façon durable - les habitudes des théâtres et du public allemands. (voir aussi article Du TU à L'AITU)

Mais ceci montre bien que le TULg avait atteint, d'emblée, un niveau de qualité égal à celui de ses grands voisins. C'est sans doute en reconnaissance de cela qu'en 1948, Henri Frédéricq, Recteur de l'époque, devenait le Président d'honneur du Cercle. Bientôt, hélas, en 1957, la santé du père fondateur, Jean Hubaux, chancelait, le contraignant à abandonner ses activités. Il décèdera en 1959. Il avait mis le TULg sur des rails solides.


 

1 in Bulletin de l'Association des Amis de l'Université de Liège, t. XXI (jan-juin 1949), p.3

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