En France, les surréalistes témoignaient d'une méfiance certaine à l'égard de la musique. Il n'en fut pas de même au sein du groupe surréaliste belge. Un exemple, la collaboration d'André Souris au film de Marcel Mariën, L'Imitation du cinéma.
Surpris en train de lire une revue érotique, un jeune garçon reçoit des mains d'un prêtre L'Imitation de Jésus-Christ. Un ouvrage dont la lecture l'incitera à vouloir à tout prix se crucifier. Tel est le point de départ de L'Imitation du cinéma, l'un des rares films surréalistes après Un chien andalou (1929) et L'Âge d'or (1930) de Luis Buñuel et Salvador Dali. Réalisé par le Belge Marcel Mariën en 1960, ce film fait appel, pour sa bande-son, à l'une des figures emblématiques du surréalisme musical en Belgique : André Souris (1899-1970). Or, la relation du surréalisme à la musique est loin d'avoir été simple. En France, les surréalistes témoignent d'une véritable méfiance, voire hostilité vis-à-vis de l'art musical. André Breton va jusqu'à écrire en 1925 : « Que la nuit continue donc à tomber sur l'orchestre afin qu'on le laisse à sa contemplation silencieuse ».
Bien qu'un rejet aussi radical ne se retrouve pas en Belgique, les musiciens surréalistes y demeurent également très peu nombreux. Initialement membre du groupe Correspondance avec Paul Nougé et Marcel Lecomte dans les années 20, André Souris possède déjà une solide expérience dans la conception de musiques de films, notamment pour Henri Storck et Le monde de Paul Delvaux (1946), et pour La Déroute (1957) d'Ado Kyrou. Lorsque Marcel Mariën le charge de réaliser la musique de L'Imitation du cinéma, il se greffe sur le projet du réalisateur et déclarera « n'avoir voulu faire lui-même qu'une imitation de la musique de cinéma ». C'est d'ailleurs sous cet intitulé que sa création apparaît au générique du film. Selon lui, la musique de cinéma n'est pas parvenue à se constituer une identité propre, mais fait au contraire appel aux procédés habituels de la musique classique, jazz, etc. Aussi, toute musique – « originale » ou préexistante – peut être qualifiée de musique de cinéma, dès qu'elle se trouve associée aux images d'un film. « Partant de ces constatations, Souris s'est proposé de prendre à la lettre les lieux communs expressifs convenant à diverses situations dramatiques, puis de les mettre en jeu au gré de son inspiration », explique le musicologue Robert Wangermée, spécialiste de l'œuvre de Souris.
Pour cela, le compositeur décide de recourir à des « musiques toutes faites, enregistrées et, en principe quelconques », qu'il dispose de manière semi-aléatoire afin de permettre une multiplicité de rapports (voulus et non-voulus) entre les images et la musique. Son choix se porte sur des musiques folkloriques roumaines, ainsi que sur des musiques extra-occidentales issues des régions de l'Orénoque (Amérique du Sud) et du Sahara. Il utilise également quelques fragments du Parsifal de Richard Wagner. Clin d'œil significatif, la musique de ce compositeur avait déjà été exploitée dans les films surréalistes antérieurs Un chien andalou et L'Âge d'or. Ainsi, André Souris apporte sa touche personnelle à L'Imitation du cinéma, un film qui connaîtra dès sa sortie une critique virulente et même la censure. Réédité en DVD cinquante ans après sa création, ce film s'avère d'un remarquable intérêt culturel et historique. Son existence témoigne de la fragilité des relations entre le surréalisme d'une part, et la musique d'autre part. Aussi, c'est en replaçant ce film expérimental et anticonformiste dans le contexte de son époque que le spectateur parviendra le mieux à se l'approprier.
Barbara Bong
Mai 2011
Barbara Bong est étudiante de 1er Master en Histoire de l'art et archéologie, orientation musicologie.