Krzysztof Warlikowski à Liège
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Du 2 au 11 mai 2011, le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski et sa compagnie seront présents à l'Université de Liège pour une master class. Cette rencontre privilégiée avec l'artiste et son univers permettront d'approfondir la connaissance d'un geste artistique singulier. Cette master class a lieu à l'occasion de la présentation de son spectacle Fin, les 10 et 11 mai au Théâtre de la Place (Manège de la caserne Fonck).

Présent la saison dernière au Théâtre de la Place avec son Spectacle (A)pollonia, créé en 2009 dans la cour du Palais des Papes d'Avignon, Warlikowski revient cette année avec une nouvelle création. Le metteur en scène polonais connu pour son travail sur les textes classiques allant d'Eschyle à Shakespeare, auxquels il consacrera une grande part de son travail, s'est également intéressé à des textes contemporains. C'est dans trois références littéraires du 20e et 21e siècles qu'il puise l'inspiration de son nouveau spectacle, Fin, créé en septembre 2010 au Nowy Teatr de Varsovie.

 

Un emblème de la nouvelle scène polonaise

Né à Szczecin, en Pologne, Krzysztof Warlikowski entame en 1989 une formation à la mise en scène à l'Académie du théâtre de Cracovie, où il signe ses premiers spectacles, d'après Dostoïevski et Elias Canetti. Son parcours le mène à travailler avec différents metteurs en scène importants du 20e siècle. En 1992 puis 1993, il est successivement l'assistant de Peter Brook sur Impressions de Pelléas, puis de Krystian Lupa sur Malte, d'après Rilke. En 1994, Giorgio Strehler soutient et supervise son travail d'adaptation et de mise en scène de À la recherche du temps perdu, d'après Proust. Warlikowski peut aujourd'hui être considéré comme une figure emblématique d'une jeune génération du théâtre polonais, théâtre dont Krystian Lucas aurait impulsé la renaissance. Cette nouvelle mouvance se caractériserait par une lucidité critique et chercherait à saisir l'inquiétude des êtres1.

On retrouve dans les spectacles de cette nouvelle scène polonaise une tension moderne fondée sur le constat de l'absence d'un système de valeur rassurante. Face à cette situation, le théâtre de Warlikowski se veut laboratoire de vérité, scrutant les zones d'ombre de l'humain, les désarrois de l'être, provoquant tantôt l'émotion, tantôt le scandale.

 

Une métaphore du monde moderne

Selon Piotr Gruszczynski2, le théâtre de Warlikowski proposerait l'expérience d'une rébellion, mettrait à bas les convictions. Cherchant à témoigner du caractère de la nature humaine et à refléter le monde moderne, son théâtre expérimente des formes appropriées pour représenter ce monde, de nouvelles techniques de jeu d'acteur et des textes qui suggèrent une métaphore de la condition de l'homme contemporain.

Avec son scénographe fétiche, Malgorzata Czesniak, il élabore des espaces présentant une dualité, des espaces où se reflète la tension entre vie et mort. Jamais univoque ni définie, la scène se présente à la fois comme froide, figée, soumise à la fonctionnalité, à l'action scénique et « imprégnée par des éléments des sphères les plus élevées et les plus éloignées de la nature humaine : la religion et la mort ». La scénographie froide, avec des décors faits de plastique, verre, acier, carrelage est contrebalancée par des objets liés à la vie, comme le bois, les figures saintes. L'espace scénique se veut un lieu hostile à l'homme, inconfortable, reflet d'un monde qui ne lui est pas favorable et dans lequel les traces humaines s'effacent trop facilement3.

Le choix de textes de Warlikowski et l'interprétation qu'il leur porte témoigne aussi de cette volonté de discourir sur le monde moderne, de le représenter. S'intéressant aux thèmes de la culpabilité, du pouvoir ou des souffrances individuelles, le metteur en scène a montré un intérêt tout particulier pour Shakespeare lui consacrant un cycle de sept pièces, tout en travaillant sur le répertoire de la tragédie grecque (Sophocle, Eschyle, Euripide) et les textes contemporains (Sarah Kane, Koltès, Tony Kushner). Mais c'est l'interprétation de ces textes par Warlikowski qui est intéressante. Il les lit sans rapport avec l'époque de l'écriture, il universalise le contexte qui entoure les personnages. C'est le récit des gens et de leurs émotions qui importent plus que des héros avec leurs actions. Il les place dans un espace-temps idéal, transformant, comme le dit Gruszczynski, l'ici et maintenant de leurs actions en un toujours et partout.

Quant aux recherches d'interprétation, de jeu d'acteur qui ont agité les artistes du monde théâtral polonais et dans lequel s'inscrit Warlikowski, elles participent à cette quête de vérité sur la nature humaine. C'est en évoluant au théâtre Rozmaitosci (Varsovie) au sein d'un groupe d'artistes dont il a constitué un noyau permanent avec Jarzyna et Krystian Lupa, que Warlikowski développa de nouveaux moyens d'expression, mettant l'accent sur le processus de création, sur l'approche de la vérité du personnage et celle de l'acteur.  Il déploie dans le jeu d'acteur de nouvelles relations entre le comédien et le personnage, liées à l'introspection, la mise à  nu, la transgression des tabous. Ce type d'interprétation ne se réduit pas à de l'exhibitionnisme, il s'agit de travailler sur l'intériorité de l'acteur et non sur le geste extérieur. Le jeu d'acteur se situe entre la création scénique et l'existence même du comédien. Il pénètre son personnage sans abandonner son être privé pour mieux retrouver la dimension individuelle du texte. Pour atteindre une vérité corporelle, il cherche à atteindre une ouverture particulière de l'acteur en utilisant le vécu, les choses intimes4.

 

La fin

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Le nouveau spectacle de Warlikowski poursuit sa réflexion sur la condition humaine en se basant sur trois textes, Le procès de Kafka, Nickel Stuff, scénario jamais tourné de Bernard-Marie Koltès et Elizabeth Costello de John Maxwell Coetzee.  Les protagonistes de ces trois textes ont pour point commun d'être face à une porte – de la vie, de la loi, de la mort – qu'ils franchissent pour explorer le mystère qui se trouve de l'autre côté. Dans Le procès, Joseph K se réveille un jour accusé d'un crime qu'il ignore et ne parvient pas à se défendre dans un système judiciaire absurde. Plus il ouvrira de portes pour tenter de comprendre, de se justifier, de se libérer, plus il se trouvera enfermé. Dans le scénario de Koltès, Tony, manutentionaire et danseur extrêmement doué, cherche à s'arracher à son existence. Né au mauvais endroit, il subit la menace que fait peser le destin sur sa vie et cherche à s'en extirper, à ouvrir la porte qui le mènera vers l'inconnu d'une autre vie. Enfin, Elisabeth Costello, la romancière australienne imaginée par Coetzee écrit comme porte-voix des personnalités les plus sulfureuses, des assassins, promenant son insolence de conférences en interviews, fracassant les lieux communs et les idées reçues. Ces  trois personnages sont le ciment de Fin où Warlikowski dépeint métaphoriquement le monde moderne. Ils y errent comme dans un labyrinthe sans issue, un rêve éveillé dans lequel nous nous débattons tous.

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Photos © Magda Hueckel
 

 

Master class à l'ULg

Outre les deux représentations de son spectacle, Warlikowski et sa compagnie tiendront une master class destinée aux étudiants de l'ULg inscrits au cours «Atelier de mise en scène, dramaturgie et direction d'acteurs»  du master en Arts du spectacle. Cette master class reste cependant ouverte à toute autre personne désireuse d'y assister (après acceptation du dossier). Toutes les informations sont disponibles sur la page du Pr Nancy Delhalle.

 
Charline Rondia
Avril 2011

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Charline Rondia est chroniqueuse, diplômée en Arts du spectacle de l'ULg.




1 Banu Georges, « Retrouver la Pologne et son théâtre », dans Alternatives Théâtrales, n° 81, 1er trimestre 2004, p.3.
2 Piotr Gruszczynski, « Sanctuaire/abatoire », dans Ibid, p. 40.
3 Ibid.
4 Zólkos Monika, « Plus qu'un acteur », dans Ibid.