Le droit belge
La situation en Belgique s'analyse par le biais de la répartition des compétences entre les différentes entités : fédérale et fédérées. L'article 127 de la Constitution belge attribue aux communautés les matières culturelles. La loi spéciale du 8 août 1980 a transféré aux communautés la compétence en matière de patrimoine culturel et celle du 8 août 1988 a transféré aux Régions la compétence pour les monuments et sites. Or, ce dernier volet comprend les œuvres d'art considérées comme des monuments ou faisant partie intégrante des monuments. Les Régions sont donc compétentes pour le patrimoine immobilier et les immeubles par destination et les Communautés pour le patrimoine mobilier.
Jusqu'alors, plusieurs lois virent le jour mais leurs dispositions n'entrèrent jamais en vigueur, faute d'arrêté d'exécution. On pense à la loi de 1931, en son volet mobilier, et à la loi de 1960 concernant le patrimoine culturel de la nation. La seule disposition en vigueur adoptée antérieurement à la fédéralisation des matières culturelles (et même à la Belgique actuelle) est un arrêté royal du 16 août 1824 sur la protection des biens culturels des fabriques d'église, interdisant l'aliénation des objets d'art des églises sans permission de l'administration publique.
En Région de Bruxelles-Capitale aucune protection n'existe, à l'exception des institutions qui se rattachent à une seule Communauté. La Communauté germanophone n'a pas encore légiféré en matière de protection du patrimoine culturel mobilier alors que cette communauté possède aussi la compétence transférée de la Région wallonne sur les monuments, sites et fouilles depuis 1994.
Les exigences européennes découlant de l'article 36 du TFUE et des deux dispositions réglementaires précitées impliquaient toutefois la nécessité de légiférer en la matière. Les deux décrets adoptés, l'un par la Communauté française, l'autre par la Communauté flamande, tentent chacun d'organiser un système cohérent de protection du patrimoine mobilier.
En Communauté française, le décret du 11 juillet 2002 relatif aux biens culturels mobiliers et au patrimoine immatériel de la Communauté française organise la matière. Il définit quatre catégories de biens : 1° les biens culturels mobiliers, 2° au sein de ces derniers, un contingent de biens classés, 3° les trésors, dont la notion est présentée sans être réellement définie, 4° les biens industriels, scientifiques ou commerciaux et les archives publiques.
Pour revenir à la notion de trésor, on peut tirer du décret qu'il est question d'un bien culturel classé bénéficiant d'une protection renforcée dont l'effet principal est de ne pas pouvoir faire l'objet d'une exportation définitive. Il s'agit d'une sous-catégorie des biens culturels mobiliers, contenant les biens les plus remarquables et les plus précieux d'entre eux. Diverses conditions déterminent la classification dans la catégorie des "trésors" :
- le classement est accessible aux biens culturels présentant un intérêt remarquable pour la Communauté française en raison de leur valeur historique, archéologique, ethnologique ou scientifique ;
- le bien culturel mobilier doit répondre à la procédure et aux critères de classement, il doit donc en tout état de cause s'agir d'un bien classé ;
- le bien culturel mobilier doit être un bien repris dans les catégories de l'annexe du décret et répondre aux seuils financiers.
La protection fluctuera donc selon que le bien est classé ou non. Deux corollaires découlent du classement du bien. Le premier est un contrôle de l'exportation : il s'agit d'un contrôle préalable et aucun mécanisme d'indemnisation n'est prévu. Le deuxième est un droit de préemption au profit de la Communauté française, en cas de vente d'un bien classé. Pour les trésors, l'expédition définitive au sein de la Communauté européenne ou l'exportation définitive hors de la Communauté européenne est toujours exclue d'office car cela viderait de sa substance la protection particulière (une expédition définitive s'apparenterait en effet à un déclassement).
En Communauté flamande, c'est le décret du 15 janvier 2003 sur la protection du patrimoine mobilier culturel présentant un intérêt exceptionnel qui règle la matière. Le décret s'attache à protéger les biens mobiliers ou les collections présentant un intérêt exceptionnel pour la Communauté flamande en raison de leur valeur archéologique, historique, historico-culturelle, artistique ou scientifique, si ces biens figurent dans la liste du patrimoine mobilier. Les objets figurant sur la liste du gouvernement flamand sont considérés comme des trésors nationaux au sens du droit européen. Pour cerner la notion stricte d'intérêt exceptionnel, il existe deux critères : d'une part, le bien visé doit avoir un intérêt archéologique, historico-culturel, artistique pour la Communauté, d'autre part, ce bien doit être à la fois rare et indispensable.
De la protection offerte par le décret, découlent deux conséquences. Premièrement, toute exportation temporaire ou définitive hors Communauté flamande est interdite, sauf accord du gouvernement flamand. Malgré tout, le droit de disposer librement de son patrimoine est sauvegardé par un système d'offre d'achat obligatoire. Une offre pour l'acquisition de l'œuvre sera donc effectuée en cas de refus d'autorisation. Un prix raisonnable pour le dit bien protégé est assuré pour le propriétaire. La fixation du prix est en effet opérée en prenant pour base la valeur vénale internationale, au moment où le gouvernement de la Communauté flamande a reçu la demande de transport du bien en dehors de celle-ci. Un fonds est créé pour permettre l'acquisition d'objets protégés, mais ce sera la Communauté qui deviendra propriétaire des biens culturels dont le fonds fait l'acquisition.
Deuxièmement, une obligation pèse sur le propriétaire ou le possesseur de conserver "physiquement" l'œuvre en bon état; le décret adopte toutefois une philosophie de coopération, notamment en incitant à la restauration au moyen de subventions.
La Belgique était jusqu'il y a peu, en matière de protection du patrimoine culturel mobilier, une terre de paradoxe : beaucoup de textes créés, mais peu en vigueur. L'avenir et la pratique diront si les instruments aux mains des deux principales communautés sont efficaces pour protéger notre « héritage » culturel mobilier.
À l'heure où ces lignes sont écrites, aucun arrêté d'exécution n'est à signaler en Communauté française mais un premier « paquet » de huit biens culturels mobiliers a été classé comme trésor en application du décret relatif aux biens culturels mobiliers et au patrimoine immatériel. Les arrêtés de classement de ces huit premiers trésors du patrimoine culturel mobilier de la Communauté française ont été remis symboliquement en mars 2010 aux propriétaires et détenteurs, privés et publics, des biens concernés.


La tabulatrice d'Hollerith et la dynamo de Zénobe Gramme
Dans la liste figurent la tabulatrice d'Hollerith (Liège) – l'ancêtre des premiers grands ordinateurs –, le trésor d'Oignies (Namur), la châsse de saint Domitien (Huy), la châsse de saint Mengold (Huy), la châsse de saint Remacle (Stavelot), le sarcophage de Chrodoara (Amay), le chaland en bois de Pommeroeul (Ath) et la dynamo de Zénobe Gramme (Liège).
La Communauté flamande, quant à elle, compte déjà plus de trois cents biens culturels mobiliers protégés.
Conclusion
En guise de conclusion, il faut souligner que c'est le déplacement potentiel des biens culturels mobiliers, marquant la plus grande différence vis-à-vis du patrimoine immobilier, qui est à la base d'une protection spéciale conforme au droit européen. Le classement comme trésor est une dérogation au marché unique puisqu'il permet que le bien culturel en question ne soit pas susceptible de sortie définitive vers un autre pays, quel qu'il soit. La notion de trésor national constitue donc pour le patrimoine culturel mobilier des États membres de l'Union européenne un rempart contre un excès de marchandisation des œuvres d'art. Elle peut dès lors être considérée comme une balise juridique remarquable dans la mesure où elle tente d'établir un équilibre entre le marché de l'art et la protection du patrimoine culturel mobilier.
François Desseilles
Mai 2011

François Desseilles est Licencié en droit.
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