Le patrimoine culturel mobilier

Le droit international

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Au niveau international, le Conseil de l'Europe a élaboré une convention sur les infractions visant les biens culturels qu'aucun État n'a ratifiée. Elle donne aussi des recommandations à l'usage des États membres du Conseil et publie des directives conseillant les États sur la protection du patrimoine mobilier.

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L'UNESCO, organisation des Nations-Unies pour l'éducation, la science et la culture, est le cadre de plusieurs conventions internationales en la matière. La convention de La Haye de 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé a pour objectif de mettre fin aux pratiques de pillage du pays vaincu (une obligation de restitution est même prévue) ; cette  convention a été ratifiée par la Belgique. La Convention de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété, illicites, des biens culturels garantit la sauvegarde du patrimoine culturel universel en période de paix et de guerre, indépendamment du contexte historique de l'origine du bien ou du pays où il se trouve. Une obligation de restitution est prévue, ainsi qu'une obligation d'interdiction d'importation de biens culturels volés dans un musée, un monument public ou religieux situé sur le territoire d'un autre État contractant. Cette convention a également été ratifiée par la Belgique.

La convention UNIDROIT de 1995, institut international pour l'unification du droit privé, sur les biens volés ou illicitement exportés complète les mécanismes de la convention UNESCO. Elle a pour objectif de faciliter la restitution et le retour des biens culturels illicitement exportés et consacre les mécanismes nécessaires à cette restitution. Elle n'est ni signée ni ratifiée par la Belgique.

Le GATT de 1947, Accord Général sur les tarifs douaniers et le commerce, prévoit en son article XX une exception à la réalisation des principes généraux de libre circulation des marchandises, en concédant ainsi à certains intérêts fondamentaux propres à chaque État une certaine singularité. Sont notamment visées par le point f) de l'article XX, les mesures concernant les trésors nationaux et leur protection, toutefois, l'Accord ne contient aucune définition de cette notion.

Le droit de l'Union européenne

Au niveau européen, la notion de "trésor national" a été reprisee dans le TFUE, dans la lignée du traité instituant la Communauté européenne. Pour tenter de comprendre cette notion, quelques étapes s'avèrent nécessaires.

D'abord, il faut rappeler que la liberté de circulation des marchandises est l'une des quatre libertés de circulation (des marchandises, des personnes, des services et des capitaux) énoncées dans le traité de Rome et est considérée comme une pierre angulaire du marché unique indispensable au développement de la construction européenne. Est ainsi prohibée toute réglementation ou pratique susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, les échanges intracommunautaires de marchandises. Il faut donc examiner si les biens culturels peuvent être qualifiés de marchandises, au sens du droit communautaire européen, et se voir appliquer le principe de libre circulation.

Or, il n'y a aucune définition de la notion de marchandise dans le traité de Rome. La Cour européenne de justice va ainsi être conduite à formuler la définition de cette notion dans un arrêt relatif aux biens culturels ; la question était précisément de savoir si les œuvres d'art sont assimilables aux biens de consommation générale. Dans les faits soumis à la Cour, une loi italienne interdisait l'exportation des biens d'intérêt artistique et historique ou exigeait, à tout le moins, une licence d'exportation et appliquait une taxe progressive spécifique sur les exportations de tels biens. L'Italie faisait valoir que les biens visés ne sauraient être assimilés à des biens de consommation ou d'usage général. Elle ajoutait que les auteurs du Traité de Rome, en ayant adjoint le qualificatif  "économique" dans l'intitulé (Communauté économique européenne1), avaient voulu limiter l'application des règles du traité aux seuls biens de consommation ou d'usage général. La Cour réfute cette position : l'union douanière s'étend à l'ensemble des échanges de marchandises, c'est-à-dire à "l'ensemble des produits appréciables en argent et susceptibles comme tels de former l'objet de transactions commerciales". La Cour retient ainsi une vision large de la notion de marchandise : les biens culturels sont donc soumis aux règles du Marché commun, sous réserve des seules dérogations prévues par le Traité.

Toutefois, l'article 36 du TFUE prévoit des exceptions à la liberté de circulation des marchandises. En particulier, les États membres de l'Union européenne peuvent soustraire à l'exigence de libre circulation les marchandises qui auraient la qualité de "trésors nationaux".

Malheureusement, ici encore, la notion de trésors nationaux n'est pas spécifiée par le Traité, ni même, cette fois, par la Cour de justice. Sa définition revient aux États membres sous le contrôle des autorités européennes et dans le respect de l'article 36 du TFUE. Compte tenu de la portée dérogatoire de cet article, l'interprétation sera restrictive. Il convient également d'appliquer ici le principe de proportionnalité, c'est-à-dire viser un équilibre entre la liberté de circulation des marchandises et la sauvegarde du patrimoine culturel mobilier national. Le terme de "trésors" renvoie à des objets ayant une valeur particulière pour une collectivité humaine par leur importance et leur unicité, en tant que manifestation du génie artistique ou comme témoins du passé historique. Il s'agit de sauvegarder les éléments essentiels et fondamentaux d'un patrimoine artistique déterminé. Le terme "nationaux" renvoie au facteur de rattachement de l'œuvre d'art à un État, par exemple le lieu de création, la nationalité du créateur ou encore les traits caractéristiques de l'œuvre. On devrait comprendre le terme "nationaux" d'un point de vue historique et non géographique. Il conviendrait donc de considérer comme nationaux les biens culturels liés à l'histoire d'un pays, à ses traditions, à son passé, à ses valeurs, au lieu où l'œuvre a été créée ou encore au propriétaire qui l'a acquise. La dimension de ces biens s'identifie à l'apport qu'ils fournissent à la définition de l'identité historique et culturelle d'un pays.

Cette question n'en a pas moins très rapidement préoccupé les instances européennes. En effet, quand furent décidées l'instauration du Marché commun et la suppression du contrôle douanier des marchandises en raison de l'Acte unique, émergea le problème de la préservation du patrimoine culturel mobilier face au Marché commun. L'abolition des contrôles douaniers aux frontières internes donna, en effet, lieu à des expéditions d'œuvres d'art d'un État membre à un autre ou vers un État tiers à la Communauté européenne en violation du droit du pays de provenance. Pour combattre ces dysfonctionnements de la suppression des contrôles douaniers et pour garantir la sauvegarde des biens culturels au niveau de la Communauté européenne, deux instruments réglementaires furent adoptés. Le règlement "exportation" CEE 3911/92 concernant l'exportation de biens culturels régit l'exportation de biens culturels à l'extérieur de l'Union européenne. Il s'agit donc du volet externe, c'est-à-dire vers les États tiers. Son système soumet certains biens à la présentation d'une licence d'exportation. Pour que le règlement s'applique, les biens culturels, classés par catégorie dans les annexes du règlement suivant leur nature, leur âge, leur valeur (seuils financiers), doivent être qualifiés de "trésor national" selon l'État membre concerné. La sortie du territoire communautaire des biens culturels les plus précieux est purement et simplement interdite par le règlement. Le second texte, en l'occurrence la directive "restitution" 93/7/CEE relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre, a été transposée en Belgique par une loi du 28 octobre 1996. Il y est cette fois question du volet interne en ce qu'il s'agit d'assurer le retour, auprès de l'État membre concerné, des trésors nationaux ayant quitté illicitement son territoire. L'analyse de la qualification de trésor national doit se faire en fonction de l'État membre qui requiert la restitution.


 

1 Argument désormais dépassé, puisque le qualificatif « économique » a précisément été retiré et qu'il est désormais question, de toute façon, d' « Union européenne ».

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