Raoul Collectif : La nécessité du collectif

Entretien avec David Murgia du Raoul Collectif

Depuis les années 90, la scène théâtrale a vu fleurir, de manière singulière dans un premier temps, et de plus en plus répétée par la suite, des spectacles dont la création était attribuée à  un collectif. Sous ce nom se cache une réalité loin d'être unique. Le collectif théâtral ne se fonde pas en un modèle uniforme avec une méthode idéale. Ces groupements sont souvent un lieu où des artistes recherchent une nouvelle répartition des fonctions d'auteur, de metteur en scène et d'interprète. Les raisons qui poussent les artistes du milieu théâtral à choisir ce mode de création sont multiples. Tous ne donnent évidemment pas le même sens à ce geste. Mais le choix de plus en plus affirmé par la jeune génération d'acteurs de ne pas attendre d'être choisi par un metteur en scène, mais bien de mettre en œuvre leur polyvalence pour porter eux-mêmes un projet qui leur est propre, pose différentes questions.

murgial

Que ce soit l'origine d'un tel choix, le fonctionnement qu'il engendre ou le discours qu'il sous-tend, il semble aujourd'hui intéressant de se tourner vers ces groupements émergeant pour interroger leur démarche. Le Raoul Collectif, fondé par cinq comédiens issus du conservatoire de Liège, a proposé sa première étape de travail au Festival de Liège. Le spectacle, Le signal du promeneur, raconte le voyage suivi par cinq figures, cinq personnes qui dans leur « quête d'être en vie » pose des actes de ruptures, de fuites de la société contemporaine. Cinq acteurs-créateurs sur scène qui se retrouvent pour conter ensemble une promenade au travers de ces quêtes individuelles.

David Murgia, membre du Raoul Collectif a répondu à quelques questions qui permettent d'éclairer quelque peu l'origine, le sens et les conséquences d'une telle démarche.

Quelle est l'histoire du Collectif, sa genèse, l'origine de sa création ?

Nous sommes cinq, Romain David, Jérôme de Falloise, Benoît Piret, Jean-Baptiste Szezot et moi-même, tous issus du conservatoire, en trois promotions. En dernière année du conservatoire, les élèves doivent réaliser un projet individuel, sans pédagogue,  qui s'appelle carte blanche/solo. Ils peuvent faire ce qu'ils veulent, que ce soit une performance d'art plastique, de théâtre. Les élèves choisissent donc leur théâtralité, leur méthodologie. Benoît Piret, en dernière année, a choisi de créer une petite forme qui traitait des prémices de ce qu'est devenu Le signal du promeneur : des quêtes un peu hors de l'ordinaire, comme celle Alexandre Supertramp, dans Into the Wild, de Fritz Zorn... Jean-Baptiste, Benoît et Romain, étaient déjà impliqués dans cette création-là. Jérôme et moi étions déjà présents, on venait voir, on participait de manière extérieure. Cette petite forme a eu un petit succès, elle a tourné dans des festivals d'étudiants, au National, en Flandre aussi. On s'est ensuite lancés dans l'écriture d'un dossier CAPT. Nous étions trois à sortir de l'école à ce moment-là. La particularité de ce collectif, c'est qu'on s'est formé parce qu'on avait envie de créer ce spectacle-là, on savait autour de quoi on tournait, quelles étaient les thématiques centrales, et pour pouvoir monter ce spectacle, il fallait qu'on fonde une asbl. Donc on a créé le collectif pour Le signal du promeneur et non Le signal du promeneur pour le collectif.

C'est donc le projet qui vous a rassemblés ?

C'est une énergie adolescente qui venait de la réaction aux formes figées de la société et ce que nous pouvions en faire théâtralement. Ces quêtes nous inspiraient des fantasmes. On savait qu'on voulait les traiter au théâtre, on ne savait pas trop comment mais on savait que c'était ça.

Vous existiez ensemble, en collectif avant de créer cette pièce ?

Bien sûr, au conservatoire, il y a des réseaux qui se créent, des liens qui se tissent et l'on sait qui l'on rencontrera plus souvent que d'autres personnes. Mais on ne voulait pas spécialement créer un collectif. On savait comment on voulait travailler, on savait qu'on ne voulait pas travailler avec un metteur en scène, qu'on voulait développer le fait d'être acteur et de savoir faire son éclairage, ses accessoires... Nous voulions une certaine indépendance autour de ça. Nous nous considérons comme « acteurs-créateurs ».

Est-ce que ce serait propre à la formation d'acteur du conservatoire de Liège ?

Oui, je pense qu'il y a quelque chose de ça. À l'école d'acteur de Liège, il y a quelque chose de ça, l'acteur doit se responsabiliser. Vu qu'il y a peu de moyens, l'école se bat pour en avoir un peu plus et l'acteur doit se débrouiller dans un théâtre limité, qui se crée à partir de rien.

006© Michel Houet Ulg Raoul
photo © Michel Houet - ULg

Comment fonctionne votre collectif ? De manière non hiérarchique ?

Quand un acteur travaille pour un metteur en scène, je n'irais pas jusqu'à dire qu'il est un employé, il peut parfois participer à la genèse du projet, mais ici, on est cinq porteurs de projet, on est les cinq créateurs, les cinq écrivains du dossier. Nous portons de manière égale les thématiques de base. Il n'y a pas de chef, mais il y a des énergies qui se dégagent. On sait que l'un se dirige plus vers ceci, l'autre vers cela. Ça dépend aussi de la lucidité du moment. On essaie juste de s'équilibrer, d'être constructif, d'aller de l'avant et de ne pas se mettre trop de freins, de ne pas castrer l'autre. Ça prend du temps et beaucoup plus d'énergie que s'il y avait une personne qui dirigeait. Parfois on tourne en rond, on avance et on recule. Ça fonctionne, mais il est difficile de décrire comment. Je crois que si on était plus, ça ne fonctionnerait pas.

Comment fonctionnez-vous pour créer ? Vous êtes cinq individus et vous proposez une création qui est le fruit d'un collectif. Comment créez-vous ensemble ? Cherchez-vous le consensus ou la rupture vous intéresse-t-elle ?

Nous sommes cinq acteurs très différents. Nous jouons de manières différentes. On vient de milieux variés, on a des horizons différents. Certains sont musiciens, d'autres le sont moins, certains ont lu tels livres, d'autres l'inverse... Cela est intéressant et ce qui serait dommage, ce serait de ne traiter que les compromis. On essaie plutôt de chercher les unanimités. Comme on s'engage autour de quelque chose de très fort, quelque chose d'absolument nécessaire, c'est un moteur commun et donc, nous n'avons aucune difficulté à s'accorder sur ce que l'on trouve intéressant, ce qui fonctionne sur le plateau. On veut que se soit ludique, musical. On fait des choses dures pour nous, et nécessaires, mais on a envie de les traiter de manière ludique. On n'a pas trop envie de se faire mal.

Il y a donc une base commune, un point commun dans la façon dont vous voulez traiter les idées ?

Il y a cette question de la possibilité d'une rupture avec la société, la possibilité de faire autrement que ce qu'on voudrait nous imposer. Nous avons tous ressenti cet enfermement, cet emprisonnement et nous avons fantasmé devant ces histoires de ruptures, mais de manière différente. On a donc un rapport commun à ces thématiques.

Il faut que tout le monde trouve sa place, c'est essentiel. Dans les premières improvisations qu'on faisait, on s'interdisait de faire une proposition sans avoir imaginé ce que faisaient les quatre autres, ce qui n'est pas habituel dans l'improvisation. Il fallait se poser la question « où sont les autres quand je fais ça ? ». Mais une place, cela se trouve toujours. Il est rare que nous devions faire face à des désaccords de l'ordre de la rupture, car nous avons un objectif commun tous les cinq et il ne nous arrive pas souvent d'aller dans un sens contraire.

La pièce présente cinq histoires et vous êtes cinq « acteurs-créateurs », y a-t-il un lien ?

Il n'y a pas une histoire qui appartient à un acteur plus qu'à l'autre. Ce qui nous intéresse, ce sont ces quêtes individuelles de gens qui ont désiré rompre avec la société et qui sont partis de manière individuelle. Ce qui nous intéresse c'est de collectiviser, c'est qu'ensemble, nous cinq, nous nous posions la question « comment un homme peut-il en arriver là ? ».

Page : 1 2 suivante