Peut-il y avoir une notion d'auteur dans un collectif ?
Nous nous sommes posé cette question. Parce qu'évidemment est arrivée la question du droit d'auteur, comment devions-nous déclarer les textes ? On ne sait pas encore comment on doit penser cela. La plupart des choses s'écrivent à cinq. Il est très difficile de distinguer la voix d'une personne, car ce qui est écrit est retouché, découpé...
Y a t-il une nécessité, pour tenir le discours que vous tenez, de passer par le mode de création collective ?
Sans doute, c'est probablement une réaction. Il y a différentes méthodes de collectif. Pour nous, il y a la volonté de tester cette règle de l'absence de chef. Chaque création permet d'observer le fonctionnement d'un microcosme. Avec le Raoul Collectif, c'est très particulier car on est tous responsables. Personne ne peut lâcher, sinon ça s'écroule. Il existe d'autres collectifs où il y a tout de même un metteur en scène, avec sa ligne artistique mais qui travaille avec les propositions des acteurs, des régisseurs... De toute façon, c'était une intuition de notre part, on n'avait pas le désir de mettre ça sur les bras de quelqu'un et la question ne s'est pas posée. Il n'y a jamais quelqu'un qui a voulu prendre ce pouvoir. Ça a toujours été transparent. Ensuite, on s'est rendu compte en créant que cela amenait une énergie de plateau particulière. On a commencé à voir que le plateau transpirait du fait que l'on fonctionnait en collectif. Parce qu'il y a une organisation particulière sur le plateau, dans les placements, dans les attitudes mêmes. Il y a une désacralisation du théâtre.
Se mettre en collectif constitue-t-il un acte révolutionnaire, avec une volonté de bouleverser ?
On ne l'a fait ni en dans le sens de l'arrogance ni dans le sens de la provocation, ni en réaction, en acte de révolution ou de révolte. On l'a fait parce que ça nous était nécessaire. On parle de gens qui fuient, qui s'évadent et qui ont une lucidité sur le monde dans lequel ils vivent. Ils le décrivent, l'analysent et après, posent un acte par rapport à ce monde, de l'extérieur. Il s'agit aussi d'une fuite de notre part, en tant que jeunes acteurs, de se dire voilà comment le système du théâtre fonctionne, comment le monde fonctionne, et quelle est notre alternative. Mais ce n'est pas quelque chose qu'on a cherché, c'est venu intuitivement. On sait qu'il s'agit quand même d'une réaction à quelque chose et que ça ne s'est pas mis en place pour rien. Mais on n'a pas fait ça en acte révolutionnaire.
Nous sommes d'une génération où l'on est perdus au niveau politique. On ne sait pas ce qu'on est. On est donc pas en train de tendre le poing et de dire ce qu'il faut penser. C'est pour ça que je dis que ce n'est pas un acte révolutionnaire le collectif. Nous ne sommes pas des communistes profonds. C'est ce qu'il nous faut, ça nous rassemble et nous avons besoin les uns des autres. Moi, je sais que tout seul je tourne en rond. Je ne peux pas faire une création tout seul.
On n'a pas voulu provoquer le monde du théâtre et dire « regardez comment on fonctionne, c'est comme ça qu'il faut faire » mais par contre, il y a eu une vraie volonté de notre part de ne pas s'entourer de la hiérarchie habituelle. On s'est tout de même entourés de forces extérieures. On a une assistante, une chargée de production et un regard extérieur. Mais il y a une volonté que le noyau simple soit sur tous les domaines, ne se décharge pas. Les personnes extérieures sont là pour nous assister.

Est-ce que vous associez cette position d' « acteur responsable » à un discours qui interroge sa responsabilité en société ?
Quand j'ai commencé le théâtre, j'avais envie de crier ma révolte, mon indignation. Je suis rentré au conservatoire pour changer le monde. Ce qui se passe avec le Raoul Collectif dépasse cela. Ce n'est pas ce cri-là qui a pris la place. Cette réflexion sur le monde, cette recherche d'alternatives ou de nouveaux fonctionnements se fait quand même. Mais pas dans une volonté de dire comment faire, pas pour s'affirmer révolutionnaire.
Y a-t-il un accès pour le public pour sentir qu'il s'agit d'une création collective ?
C'est surtout le fond qui réfléchit à ça. Sur le plateau, tout est collectivisé, il n'y a pas une tirade qui appartient à un acteur. On a beaucoup travaillé sur la notion de fratrie. Et je pense que c'est quelque chose qui transpire. On a besoin l'un de l'autre et je pense que cela se ressent.
Vous travaillez sur la notion de fratrie, vous utilisez le choeur, vous créez en collectif, mais vous traitez d'histoires individuelles...
C'est vrai, on va plus travailler cela dans l'évolution de la création. Si on prend le cas d'Alexander Supertramp, il brûle ses papiers, sa maison, il s'en va dans la forêt. Il pose un acte individuel, mais juste avant de mourir, il dit qu'il est absolument nécessaire de le partager, de le raconter, de le collectiviser, sinon ça n'en vaut pas la peine. En effet, on traite de quêtes, de recherches individuelles, qui nous interrogent individuellement, mais on veut les questionner et les partager à cinq. Nos figures – qu'on a appelées nos promeneurs – sont des gens qui partent aux cinq coins du monde et qui se retrouvent pour raconter le spectacle, puis qui repartent aux cinq coins du monde. Mais ils ont besoin de se retrouver. Ils s'embrassent, ils établissent un contact, ce qui est important pour nous. On a toujours été percutés par la capacité individuelle d'un être à avoir une lucidité, à voir que quelque chose ne fonctionne pas, qu'il faut donc le quitter, qu'il faut faire le point là-dessus. Mais on est aussi intéressés par le fait qu'il faut collectiviser cette lucidité-là pour arriver à quelque chose.
Peut-on dire qu'au théâtre, la jeune génération propose de plus en plus un discours où il n'est pas question d'affirmer, mais de soulever et de pointer des problèmes sans vouloir donner de solutions ?
Ça se fait encore et j'ai un respect pour cela. Mais le risque, c'est d'être traité de naïf. C'est bien de reconnaître qu'on n'a pas de solution, qu'on n'est pas là pour moraliser, mais c'est également faux de dire qu'il n'est pas possible de pointer un responsable du doigt. Des causes et des effets, il y en a, et en tant qu'artiste, il ne faut pas non plus trop se déresponsabiliser de la notion politique. C'est bien aussi de réagir immédiatement au monde dans lequel on vit, de réfléchir et de tenter. Mais le risque, c'est d'être taxé de « trop jeune », n'ayant rien compris au monde.
On est là pour que les gens puissent prendre quelque chose, repartir après la représentation et se poser des questions. Il y a des manières plus audacieuse que d'autres de le faire, mais un théâtre qui affirme « c'est comme ça », au nom de quoi et de qui le fait-il, pourquoi ? Il y a cependant des jeunes artistes qui le font avec plus de sens que d'autres, qui posent des questions. Mais ce n'est pas ce qu'on fait dans le Raoul Collectif. On pose des questions et l'on va vers notre alternative à nous. Notre réponse, nous la trouvons pour le moment dans l'imaginaire, dans le fantasme. Ces petits bonshommes en k-way qui se retrouvent et qui chantent, ce ne sont pas des solutions concrètes à des problèmes, mais on essaie de réfléchir grâce aux fantasmes que ces figures nous proposent, ce à quoi elles nous font rêver.
Nous devons trouver notre propre réflexion et pas celle de nos aînés et l'alternative collective est devenue différente, nous devons nous la réapproprier et ne pas répéter ce qui a été fait. Je ne dis pas que l'on propose une solution au monde, mais à mon échelle, je trouve une solution collective de réagir à quelque chose.
Votre mode de création et le discours que vous proposez correspondraient à une réalité générationnelle ?
On a envie d'un public jeune, on voudrait une réflexion collective avec des jeunes de notre âge, une sorte de synergie. On se rend compte qu'il y a quelque chose à propos de l'idée collective qui est à partager. Il y a une manière de réfléchir le monde, même dans le langage, dans l'attitude plateau. On n'a rien inventé, mais on a une façon d'être en scène, un langage qui appartient aux gens de notre âge. Pour nous, ce sont des aventures théâtrales mais aussi des aventures citoyennes. Il faut redonner au théâtre son travail dans la cité, ce pour quoi il doit exister, à mon sens. Nous appartenons à une génération et nous pouvons lui parler plus facilement qu'à d'autres : ceux qui vont sortir des études, qui vont faire face à des responsabilités et qui vont rentrer dans ce carcan-là, dans ce monde-là, qu'ils n'ont pas choisi. C'est à eux qu'on veut parler. C'est à eux de réinventer leur imaginaire, parce qu'on pense que c'est une des choses que le monde de la consommation, du capitalisme a le mieux réussi à faire : castrer l'imaginaire, anesthésier le sens de l'alternative, de l'envie, de la nécessité de vivre. Raoul Vaneigem est un auteur qui nous a beaucoup intéressé. Il parle du fait d'être mort dans cette société qui devrait être en vie, se demande comment faire pour être en vie dans une société qui ne nous en donne pas les moyens. Nous voulons traiter de cette société qui mène vers un système morbide. Mais c'est quoi « être en vie » ? Nous avons envie de travailler sur la pulsion de vie.
Les membres du Raoul Collectif présenteront leur création du 10 au 20 janvier 2012 au Théâtre National (Coprésentation | Théâtre National - KVS). Puis à la maison de la culture de Tournai les 24 et 25/01/12.
Propos recueillis par Charline Rondia
Mai 2011

Charline Rondia est chroniqueuse, diplômée en Arts du spectacle de l'ULg.
Page : précédente 1 2