Ne plus affirmer, mais interroger
« Je ne me pose pas la question d'être politique ou de ne pas l'être, inévitablement, je le suis ». Fabrice Murgia s'inscrit bel et bien dans la génération émergente du monde théâtral, une génération qui interroge son actualité. Sur le plateau, il ne s'agit plus de raconter pour changer, mais de poser des questions. Pour le nouveau jeune théâtre, interroger le présent, c'est interroger une situation complexe. Il n'y a pas d'ennemi à combattre, ni de réalité à poser. Mais il est question d'une situation que l'on perçoit subjectivement et qui nous fait nous interroger collectivement. Le sujet s'interroge, affirme la singularité de son point de vue et partage son questionnement au collectif. Fabrice Murgia écrit ses spectacles, ou comme pour Dieu est un DJ choisit de monter un texte qui raconte une histoire dont il se sent proche. Il s'agit de faire du théâtre qui se montre théâtral. L'artifice permet de mieux fasciner et de rendre l'histoire plus hypnotique. La scène comme rupture dans le flux spatio-temporel, lieu isolé où se déroule une histoire, une fiction de temps et d'espace différent est plus que jamais soulignée. Il s'agit dans ces spectacles de raconter des histoires qui vont susciter le débat, « aider à mieux vivre sur une thématique après avoir vu le spectacle ».
Le théâtre de Fabrice Murgia montre donc une série d'histoires. Des histoires que vivent les personnages, des histoires qu'ils s'inventent et des histoires que le metteur en scène et l'auteur ont créées pour eux ou pour le spectateur. Différents niveaux de réalité s'imbriquent donc pour ne plus laisser place à aucune vérité. Il ne s'agit pas de fables didactiques ni d'histoires réelles. Le théâtre de Murgia ne cherche pas à apprendre, à induire une pensée sur le monde, mais à décrire un monde où la réalité n'est désormais plus perceptible comme une seule. Dans Chronique d'une ville épuisée, comme dans Dieu est un DJ, le spectateur vient voir l'histoire que lui raconte le metteur en scène et dans laquelle les personnages eux-mêmes ne vivent que des histoires, des fictions inventées, imaginaires. La jeune fille de Chronique d'une ville épuisée vit dans un univers parallèle, virtuel. Mais infiltrant sa vie concrète, les deux mondes finissent par s'imbriquer pour ne plus se distinguer. Il en va de même pour le personnage principal de Dieu est un DJ, dont les nombreuses histoires qu'il nous raconte se recoupent et se contredisent pour enfin empêcher toute tentative de clarification et de compréhension de la narration. Mais finalement, nous dit-il, l'important, ce n'est pas de savoir si l'histoire est vraie, ce qui compte, c'est que ces histoires nous remplissent et nous font vivre. Et ces histoires que raconte Murgia nous interrogent, entrent en résonance avec la réalité du spectateur, sa condition d'être humain en société. Car ce qui est montré ici, c'est l'absence de réalité grandissante pour une nouvelle génération qui évolue d'un univers à un autre, sans plus se poser la question du vécu ou du superficiel, de l'imaginaire ou du réel. Multiplier les niveaux d'histoire, les emmêler, c'est aussi montrer une situation complexe, agressive mais indécryptable. Le théâtre, lieu de la mise en scène, lieu où est porté sur la scène un fragment d'histoire racontée, jouée, interprétée, devient dès lors le meilleur outil pour révéler la mise en scène de la vie de toute une génération qui vit de plus en plus, comme un personnage, dans la construction de son identité factice, façonnée selon ses désirs.