Jean-Louis Colinet : un festival avec une identité forte

Ce qui participe également à l'identité du festival, et détermine donc un certain public, c'est bien évidemment la programmation.  Les spectacles programmés attirent le public, mais Colinet affirme devoir multiplier les stratégies pour l'inciter à la curiosité, à l'audace face à une sélection de spectacles généralement inconnus. Car la programmation du Festival de Liège diffère de celle des autres structures permanentes dirigées par Colinet, le Théâtre de la Place hier et le Théâtre National aujourd'hui. Un festival peut se permettre de proposer une sélection de spectacles plus pointus, plus particuliers. Là où un théâtre permanent doit construire une identité artistique qui plaira à un public plus large, le festival, n'agissant que sur une période restreinte, peut se permettre plus d'audace et de radicalité. Colinet explique donc que la direction de ce festival lui a permis une programmation plus spécifique, qu'il a basé sur un critère de sélection particulier : les spectacles présentés doivent interroger le présent, constituer un regard, une interrogation, une conviction d'artiste et donc des actes immanquablement subjectifs vis-à-vis du monde dans lequel nous vivons. Il ne s'agit pas d'un théâtre militant, mais il peut être dit politique, en ce qu'il concerne la cité, les citoyens, les gens, la ville, le monde. « Ce que je cherche, dit Colinet, se situe aux confins du poétique et du politique ». Il s'agit donc bien de présenter des spectacles dont le propos correspond à un point de vue singulier sur le monde et dont la forme particulière permet de servir au mieux ce propos à travers la représentation théâtrale. Bien conscient que ce type de programmation risque d'éloigner un certain public, Colinet affirme cependant qu'elle en a attiré un autre. Ce dont se réjouit le directeur, c'est que cet autre public est non-initié. On ne retrouve pas spécialement, dans les rangs de spectateurs du manège et du B9 ceux que l'on voit habituellement, abonnés assidus des théâtres permanents. Le Festival attire des gens qui ne vont pas au théâtre, des gens qui viennent car ils rencontrent dans cette programmation particulière un propos. C'est ce propos qui crée une identité forte au Festival de Liège. Et c'est cette identité qui permet la ferveur qui caractérise la réaction du public. Colinet a cherché à faire de ce festival un concept auquel est lié un imaginaire, une poésie, un univers. « Le festival, c'est un esprit, une saveur et ça ne s'explique pas. »

hommedebout  signaldupromeneur

À gauche : Un homme debout, par Jean-Michel Van den Eeyden - À droite : Le signal du promeneur, par le Raoul Collectif

En observant de plus près les aspects techniques de la mise en œuvre d'une telle programmation, on constate également que ce qui caractérise le Festival de Liège est qu'il consacre l'essentiel de son budget à l'activité artistique. En effet, l'équipe est fortement réduite. Autour du directeur travaillent trois permanents, Philippe Toussaint pour la direction administrative, Pierre Clément pour la direction technique et Charline Hamaite comme assistante de direction. D'autres employés s'ajoutent dans les périodes précédant et succédant le festival, mais globalement, c'est une équipe assez réduite qui s'occupe de mettre en place chaque nouvelle édition. L'organisation d'un festival demande, bien entendu un important travaille de prospection pour établir la programmation. Les spectacles sélectionnés ont généralement été vus par le directeur soit parce qu'il suivait le travail du metteur en scène auparavant, soit parce qu'il en a entendu parler. Lorsque le spectacle a été sélectionné pour la programmation, tous les détails techniques doivent être réglés, dont la négociation du prix. Le Festival de Liège a choisi de ne pas consacrer des part trop importante du budget à l'achat de représentations excessivement chères qui appauvriraient le reste de la programmation. 

Cette année, la ligne de programmation s'est définie autour de deux aspects importants. Le premier est le compagnonnage avec un artiste présent depuis plusieurs éditions, Falk Richter, et un intérêt particulier pour les productions allemandes. Colinet assume son attrait pour l'Allemagne et rappelle que la subjectivité des personnes responsables d'une programmation ne peut être niée. Il admet être particulièrement intéressé par les productions théâtrales allemandes qu'il trouve très ancrées dans le monde d'aujourd'hui. L'Allemagne est également, selon lui, un des pays où les moyens mis à disposition de la formation et de la création théâtrales génèrent de la qualité, tant ils sont importants. Quant à Falk Richter, le compagnonnage s'est développé parce que l'univers de l'artiste intéressait le directeur qui l'a associé au Théâtre National. Il est donc normal de retrouver plusieurs de ses créations dans l'édition 2011 du Festival.

La seconde ligne de la programmation réside dans l'ensemble de créations labellisées « Nouvelle Vague », qui témoignent d'un désir de valoriser les artistes émergents. Il s'agit d'un programme de soutien aux artistes qui n'ont jamais montré de créations ou seulement dans des lieux confidentiels. Parmi ces artistes, on peut citer Fabrice Murgia, Coline Struyf, ou les jeunes compagnies comme le Raoul Collectif ou Que faire ? Jean Louis Colinet explique comment est né le label « Nouvelle Vague ». Il résulte d'une volonté de plusieurs structures d'aider la génération émergente à créer. Dans un contexte où plus de cent jeunes artistes sortent chaque année des cinq écoles de théâtre de Belgique, beaucoup quittent la profession. Si la jeunesse ne fait pas d'emblée la vertu des spectacles et des projets de ces artistes, leurs créations permettent cependant d'amener un nouveau souffle au théâtre. Le Festival de Liège, la Maison de la Culture de Tournai, le Théâtre National et l'Ancre à Charleroi se sont donc associés pour créer une sorte de collectif de programmation. Ensemble, ils sélectionnent des projets qui expriment, par un langage actuel, un propos, un rapport singulier au monde d'aujourd'hui. L'important, selon Colinet, ce n'est pas la nouveauté. Il n'y a plus rien à inventer au théâtre, ce qui fait la différence aujourd'hui, c'est l'authenticité. C'est de faire du théâtre qui s'intéresse aux gens. Ces projets sélectionnés bénéficient alors d'une aide financière, logistique et technique mais également d'une aide pour tourner. Car c'est évidemment la difficulté principale des jeunes compagnies. Les spectacles sont montrés quelques fois et n'ont qu'une vie très éphémère. Il s'agit donc de faire en sorte que ces spectacles soient vus par un maximum de programmateurs, même si on ne peut forcer les gens à programmer des spectacles si ceux-ci n'ont pas suscité le désir. Sur cette édition du festival, on pouvait découvrir sept créations sur vingt spectacles. Cela constitue évidemment un risque puisque plus d'un quart de la programmation reste dès lors incertaine. Pour un théâtre permanent, si la création n'est pas satisfaisante, pas à la hauteur des attentes du programmateur, l'erreur peut être corrigée. Mais sur une période de festival si courte, sept créations constituent un risque assez élevé que Colinet n'est pas sûr de vouloir réitérer lors des futures éditions.

Le Festival de Liège est donc selon son directeur, un « concept » qu'il a construit et qu'il définit sur base des différents éléments décrits ci-dessus. Sa présence est remarquée et attendue, un an sur deux à Liège. L'événement bénéficie d'une telle prégnance car l'identité qu'il véhicule auprès du public semble s'être imposée assez clairement. Parmi les centaines de spectateurs qui se présentent tous les deux ans dans les locaux de la Caserne Fonck, la plus grande majorité sait ce qu'elle vient y chercher. Et l'on mesure la force de l'identité d'une structure en observant si les gens savent pourquoi ils s'y rendent ou non, explique le directeur. L'identité de ce festival interrogeant le présent, interrogeant notre monde, notre société et notre actualité est pleinement définie. C'est pour cette raison que le Festival répand dans les rues Liégeoises un peu de sa saveur, de son esprit et s'impose comme l'événement culturel des premiers mois de l'année. 

Charline Rondia
Mars 2011

crayongris

 

Charline Rondia est chroniqueuse, diplômée en Arts du spectacle de l'ULg.

Page : previous 1 2