
Depuis 1999, Jean-Louis Colinet est à la tête du Festival de Liège. Lorsqu'il entre en fonction comme directeur de cet événement, il est alors également directeur du Théâtre de la Place et ce, depuis 1988. En 2004, il y achève son mandat et prend la tête du Théâtre National. Il organisait cette année sa 6e édition du Festival de Liège qui, né dans les années 1950 sous le nom de « Festival du jeune théâtre », s'est ensuite appelé « Rencontres d'octobre » avant de devenir l'événement que l'on connaît aujourd'hui. Invité par Nancy Delhalle, dans le cadre du cours « Histoire du théâtre en Belgique », Jean-Louis Colinet a dressé, pour les étudiants du Master en Arts du Spectacle, un panorama de l'évolution du festival, de son identité, de son subventionnement, de son fonctionnement interne et de sa programmation.
Comprendre un festival, c'est aussi comprendre le soutien financier dont il bénéficie. Le fonctionnement de l'événement dépend, bien entendu, des disponibilités budgétaires. Mais en observant l'évolution de la politique de subvention menée à l'égard d'une structure, on peut également décrypter les liens qu'elle entretient avec les pouvoirs subsidiants et déceler des problématiques d'ordre géopolitique ou historique. C'est en quelques mots ce qu'a proposé Jean-Louis Colinet lorsqu'il a envisagé l'évolution du Festival de Liège depuis son arrivée. Dès 1999, Colinet négocie un contrat-programme dans lequel on ne constate, après six éditions, aucune évolution notoire. La raison en est essentiellement géopolitique, selon le directeur. La culture dans les capitales représente bien plus un enjeu pour les pouvoirs subsidiants. Faire exister l'institution en dehors de Bruxelles est assez complexe, déplore-t-il. Liège a été un centre culturel relativement important dans les années 19701, malheureusement, de nombreux lieux qui constituaient le ferment de l'action culturelle ont dû fermer leurs portes faute de soutien politique et donc financier. La Ville s'est assez désintéressée de la culture. Si l'indépendance de l'art par rapport aux pouvoirs politiques peut sembler bénéfique, Colinet regrette l'absence de lien. Le rapport au pouvoir peut sembler effrayant car il présente un risque de tentative de subordination, de mise à disposition du fait culturel pour le pouvoir politique. Malgré ce risque, selon Colinet, le dialogue prévaut toujours sur l'absence de communication et le pouvoir politique peut apporter des moyens et doter une ville d'institutions culturelles. Liège n'en a pas bénéficié et Colinet regrette l'absence d'audace en faveur d'une politique culturelle riche et intéressée. Selon lui, le Festival de Liège et les subsides qu'il reçoit témoignent de cette absence d'audace et d'intérêt de la Ville de Liège pour le fait culturel. Le Festival fonctionne avec des subsides alloués en grande partie par la Communauté française (la Ville et la Province de Liège participent elles aussi mais pour une très petite part).
Si le montant attribué selon le contrat-programme ne semble pas vraiment évoluer, l'organisation du festival va cependant s'en trouver changée. Pour permettre une programmation de qualité malgré les difficultés budgétaires, Jean-Louis Colinet choisit de faire de ce festival international une édition biennale. Cela lui permit de cumuler les subventions annuelles et de couvrir une année sur deux les frais d'un tel événement. Il décide également de revoir la période de programmation. Les « Rencontres d'octobre » sont repoussées en janvier et doivent donc également changer de nom. Comme il y avait le Festival d'Avignon, ou encore le Festival d'Édimbourg, il existe désormais le Festival de Liège. Cela facilite également la communication internationale, soutient le directeur.
Si l'intérêt des pouvoirs politiques n'est pas au rendez-vous, celui du public en revanche reste depuis six ans relativement manifeste. Jean-Louis Colinet dit ne pas pouvoir définir son public. Il sait qu'il n'existe pas un, mais des publics, et que celui du Festival de Liège diffère de celui du Théâtre National ou du Théâtre de la Place (du moins du temps de sa direction). Pour répondre à la question de l'identité du public, Colinet pose celle de l'identité du festival qui, selon lui, attire certaines personnes et en éloigne d'autres. L'identité se construit à travers différents aspects, à commencer par le lieu.L'architecture du lieu où se déroule le festival est en lien étroit avec cette notion d'identité. Dans le cas du Festival de Liège, le lieu se partage entre une partie de l'ancienne Caserne Fonck et le Théâtre de la Place. Durant un mois, le public se divise donc entre le Manège, qui accueille une partie des spectacles et les afters, les écuries, qui offrent un coin-bar plus calme et plus intime, le local B9, qui fait partie de l'enceinte de l'institut Saint-Luc et qui offre une seconde salle de spectacle, et enfin, le Théâtre de la Place où se déroulent également quelques représentations. De l'ancienne Caserne Fonck, le festival investit donc toute une partie qui a été rénovée. Le lieu d'origine a cependant été modifié le moins possible. Colinet l'avait découvert alors qu'il était toujours directeur du Théâtre de la Place, pour accueillir l'un des spectacles d'Ariane Mnouchkine. L'ancienne caserne militaire était alors propriété de l'institut Saint-Luc. Colinet a, depuis, convaincu le Ministère de la culture de racheter le manège et d'en confier la gestion au Festival de Liège. Entre 2007 et 2009, le bâtiment est rénové. L'aspect du manège reste inchangé, mais sous la dalle de béton du sol, des espaces de rangements de six mètres de profondeur sont creusés. Des loges sont également construites. Pour le reste, il n'était pas question de mettre en péril le cachet et la beauté du lieu. L'acquisition du bâtiment et sa rénovation furent une opération relativement bon marché, tournant autour des deux millions et demi d'euros.
1 Pour plus d'informations sur le sujet, se référer à l'ouvrage Le tournant des années 1970. Liège en effervescence, qui dresse un panorama de l'ébullition de la vie culturelle Liégeoise durant les années 1970. DELHALLE Nancy, DUBOIS Jacques et KLINKENBERG Jean-Marie (sous la dir.), Le tournant des années 1970. Liège en effervescence, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, coll. « Réflexions faites », 2010.