Toujours est-il que certains hommes sont dérangés par cette égalité des sexes et considèrent comme anormal le fait que des femmes cherchent un partenaire inversant les rôles normés. Pourtant les femmes d'aujourd'hui occupent également l'espace public, espace au départ masculin, ce qui ne les empêche pas de se lancer dans des activités attribuées aux hommes dans les schémas traditionnels telles celles de chef de chantier ou conducteur de bus. Les femmes ont fait des études et gèrent carrière et argent. Et le fait d'être universitaires ou à la tête d'une PME ne les empêche pas de lire à la fois le Monde et des bouquins des collections Harlequin et Fleuve Noir, de podcaster les news ou un Thema Arte, de tourner les pages de Gala avant de lire les derniers potins sur internet, d'écrire un rapport médical précis et de rêver en regardant Love Actually, ou Brown Sugar. Le Prince Charmant peut être un partenaire sexuel uniquement, pour le plaisir, désir et confirmation d'un orgasme valable, gestion de ses pulsions et désir d'indépendance, réassurance de ses capacités séductrices, garantie de sa jeunesse, preuve de son pouvoir. Mais aussi de manière plus concrète pour le maintien de son autonomie, par impossibilité de caser un homme dans sa vie quotidienne, par refus de changer ou d'adapter sa vie pour quelqu'un d'autre, par envie de liberté, incapacité à vivre à deux, méfiance ou dégoût de la vie commune, et surtout pour la liberté d'action, droit à la décision, au choix, à sa vie. La séparation du privé, du professionnel et de l'intime est une manière de vivre de plus en plus courante. Cela ne demande pas nécessairement un partenaire libre, puisque dans ce cas on ne partagera pas plus avec lui que des expériences sexuelles, uniques ou récurrentes selon les besoins, les acquis et la satisfaction.
Les femmes ont obtenu l'accès au sexe libéré de toute contrainte, conséquence, ou soumission. Elles sont les maîtres de l'action et le montrent, le disent, l'écrivent. Ainsi une série des « chasseures » sur internet affirment clairement leur désir de sexualité, uniquement. Femmes libres, sans relations sexuelles, en manque, avec un partenaire (affectif ou par habitude) qui ne les satisfont pas sexuellement mais qu'elles aiment, ou qui les rassurent, ou qu'elles ne veulent pas quitter, avec des enfants auxquels elles ne veulent imposer ni un partenaire ni des aventures d'un soir, etc., les femmes utilisent internet pour le sexe également. Comme les hommes. Elles le disent dans les messages, les profils, les mails ; elles choisissent les sites de plan sexe ; elles le notent sur facebook ; elles en parlent entre copines et copains, elles interpellent leurs sexfriends, en privé (mails perso) ou public (sur un mur), en intimité publique (sur les blogs personnels, échanges entre ami(e)s), semi-publics (les forums, les espaces de discussions limités). Et l'on est bien loin de « les femmes préfèrent la tendresse, les hommes préfèrent le sexe », sous-entendu : les relations amoureuses et sexuelles pour une femme, c'est se blottir dans les bras et des préliminaires doux et langoureux et pour un homme, c'est une pénétration rapide et éjaculatoire. Les femmes cherchent aussi le plaisir pour le plaisir, l'orgasme, les sensations fortes, et elles ne sont pas en reste quant à l'utilisation des artifices, des sex-toys, la recherche de l'aventure, du piment, du spécial, des expériences, du hors-norme.
Les femmes ont apprivoisé internet. Elles ont dû s'y adapter très vite, parfois sans transition entre ça et leur machine à écrire et les montagnes de documents, archives, ouvrages ; elles jonglent avec les programmes telle Terry dans sa banque18, manipulent aisément fichiers et dossiers telles Laurel Ayres et Sally Dugan19, traitent les données, percent les mystères et cherchent les infos telles Mélinda Gordon dans Ghost Whisperer ou Sœur Thérèse dans SœurThérèse.com, alignent des tableaux, utilisent les webcam, épluchent les appels d'offre, approfondissent les programmes scolaires. Professionnellement, elles ont dû utiliser les outils imposés ou se mettre aux outils qui leur permettaient de trouver les résultats demandés et d'être compétitives. Internet leur est devenu un outil de travail quotidien. Professionnel, social et politique.

Elles construisent des relations et des réseaux sociaux, c'est ainsi que les féministes ont utilisé internet qui à son tour sert les féminismes. Les femmes aussi sont devenues des expertes en technologie, les ordinateurs ne sont pas plus des jouets masculins que féminins. Et certains disent l'avoir bien compris qui s'adressent spécialement aux femmes avec des ordinateurs roses ou fuchsia, prolongeant ainsi la sexuation féminine de la technologie que l'on trouve pour les petites filles ; d'autres proposent des housses de couleurs fluo, en fausse fourrure, avec des petites fleurs ou des petits oiseaux. Peu importe, même sexués, ils sont des outils performants et indispensables. Et même si Anne Roumanoff égratigne ses paires dans un sketch sur les PC et internet, associant femme et incompétence technologique, la réalité est toute autre. Qu'elles soient écrivains, chercheures, experts, médecins légistes ou scientifiques, journalistes, chroniqueuses, employées, secrétaires, étudiantes, femmes au foyer, madame-tout-le monde ; petites filles, ados, jeunes, âgées. Elles cherchent des informations, créent un groupe de rencontre, mettent des objets en vente, cherchent des recettes. L'ordinateur sert leur vie privée.
Et même pour le sexe. Les travailleuses du sexe l'ont compris très vite, les annonces diverses sur internet touchent rapidement un public bien plus grand que les petites annonces dans la presse. Les femmes ne sont plus uniquement les objets de désir ou objets sexuels exposés, exploités sur les écrans d'ordinateur, films ou sites pornographiques, professionnels ou amateurs, volontaires et consentantes, contre leur gré ou ignorantes20, elles deviennent les gestionnaires de leur image sexuelle, de leur désir et du désir de l'autre, books, films en pièces jointes, séquences en direct, plus ou moins érotiques, plus ou moins pornographiques. Pour le petit copain, pour le partenaire qui est au loin, pour trouver un partenaire, pour l'argent.
En bref, elles sont présentes sur le net comme objets, comme images, comme actrices, professionnellement et de manière privée, pour des choses dites féminines, sites de tricot, couture, crochet, conseils minceur, site d'amaigrissement, abdo-fessiers et même exercices de jambes pour porter des talons hauts, sites de rondeurs, sites de leurs magazines féminins, sites de vente, achat en ligne, sacs, chaussures, produits de beauté, livres, ... sites et forums de discussions santé, pro-anorexies, pro-rondeurs, conseils éducationnels, publicité, sites de mode, meubles, alimentaires, recettes de cuisine, décoration, magazines, dictionnaire, jeux. Et d'autres, neutres ou mixtes ou dites masculines, compostage, jardinage, voyage, gps, voitures, motos, d'occasion ou neuves, outillage, bricolage, maçonnerie, programmes divers, cinéma, chaînes télévisées ou radios, jeux contre les autres ou contre la machine, concours divers, astrologie, sondages, soutien à des causes, immobiliers, invitations, informations, pornographie et sexe. Tout est accessible à tous. Les femmes sont des consommatrices d'internet. Elles en ont les possibilités, les obligations scolaires et professionnelles, les moyens, le temps. Tout se trouve sur internet, des copains, des amis, des histoires, des aventures. De l'amour. Et du sexe.
Femmes déchaînées les femmes qui cherchent du sexe sur internet ? Pas plus que les hommes. Les femmes ont acquis le droit à leur corps, à leur sexualité, à leurs besoins, à leurs désirs. L'égalité des droits ne peut être restrictive. Lorsque les femmes traitent d'obsédé sexuel un homme qui recherche du sexe, on leur explique patiemment que c'est naturel... pour un homme. Aujourd'hui que les femmes ont à peine obtenu la reconnaissance de leur nature sexuelle, la suivre ferait d'elles des « déchaînées du sexe » ? Reprise des discours anciens, intégration des représentations anciennes. On voit poindre la peur du chasseur de devenir le chassé... Les femmes se sont approprié la technologie et dans la foulée internet. La gestion du sexe et du cul n'appartient plus aux hommes. Peu importe le moyen, Saint-Valentin réunit Valentine et Valentin pour un plan cul et/ou pour l'amour. Le pour un soir ou pour toujours suivra. Comme le dit Philippe Brenot, « Comment la plus belle idée du monde rencontre-t-elle autant d'embûches sur sa route ? Peut-être parce qu'elle n'est pas si naturelle que ça... »
Bonne fête les amoureux.
Chris Paulis
Février 2011

Chris Paulis est docteur en anthropologie de la communication. Ses cours et ses recherches à l'Université de Liège concernent principalement communication et genre, interculturalité et sexualité.
18 Jumpin' Jack Flash, Penny Marshall , 1986 19 L'Associé, Donald Petrie, 1997 20 Les gsm photographient et filment facilement les gens à leur insu, les images sont alors transférées sur le net
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