Si on devait sexuer internet, il serait féminin

Les premiers sites de rencontres étaient surtout visités par des personnes qui avaient « tout essayé » dans la réalité pour trouver un partenaire, hasard, amis, inscriptions dans les clubs divers, loisirs, vacances, agences matrimoniales, relookers, love coaches. Internet et les sites de rencontres (peu nombreux au départ) apportaient un moyen nouveau et moderne pour trouver le partenaire idéal. Les questions posées pour établir son profil donnent  l'impression de confier les éléments importants de son souhait, la caution de sérieux apportée par l'intervention ou le coaching d'un psychologue, la gratuité de l'inscription au départ, la liberté d'interpeller ou non les profils proposés, la multitude des profils proposés donnant l'impression d'un nombre illimité de prétendants, la venue de nouveaux inscrits ou de profils changeants accentuent la diversité des possibles. Le choix du premier contact, de l'intensité du contact (coup d'œil, sourire, message, etc.), la liberté de répondre  préservent la liberté d'action. L'anonymat protège les démarches virtuelles de la vie réelle. Le surnom devient une autre identité un peu mystérieuse qui permet de dire, d'exiger, d'ignorer, de refuser. Et de jouer. Les principes des sites de rencontre est très simple, très mécanique, l'un met le physique en évidence, l'autre la profession, le troisième la famille... ; des points, des pourcentages ou des étoiles font connaître l'indice de compatibilité, une phrase ou un petit texte pour se présenter. Les photos ne sont pas obligatoires mais souhaitées pour parachever un profil. Le texte et les mails échangés peuvent être spontanés, réfléchis, construits, copiés, faits par quelqu'un d'autre, peu importe, ils laissent obligatoirement la place à l'imagination pour se représenter – le physique de –  l'autre. Toutefois,  la photo, peu importe sa qualité, supprime immédiatement cette part de l'imaginaire et met les pieds dans un début de réalité. Internet c'est un peu comme cet échange de courrier entre une marraine de guerre et un soldat, entre un référent extérieur et un prisonnier, entre deux cousins éloignés qui ne se sont jamais vus, entre deux correspondants linguistiques, etc. Cela peut se transformer en amourette, en flirt, éveil du désir, voire passion, simultanément se crée une envie de fidélisation, un comportement d'appropriation, une accoutumance, un ressenti de partenariat amoureux même si tel n'était pas le but ou n'est pas le cas. Les sites de rencontres sur internet peuvent remplir ce but.

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Les deux sexes fréquentent les sites, les femmes sont des adeptes et des consommatrices des sites de rencontre en tout genre pour y trouver et chercher un partenaire, ce qui signifie être chassée et y chasser.

Depuis la gendérisation des groupes humains, être chassée est l'attitude attendue des femmes. C'est le plus souvent la femme qui se déplace lorsqu'il y a couple et mariage. C'est elle qui entre dans la famille de son mari, reprenant peu à peu les tâches de sa belle-mère et devant s'occuper de ses beaux-parents une fois qu'ils sont trop vieux. Les femmes sont repérées, séduites, achetées. Ce sont des individus importants, primordiaux, indispensables à la création d'une famille, la descendance étant d'abord un mécanisme biologique, les femmes doivent procréer. Elles sont des partenaires recherchées pour leur capacité à avoir des enfants, ainsi leur âge et en particulier leur jeunesse vont être un indicateur d'alliance incontournable. Les hommes recherchent plus souvent des femmes plus jeunes qu'eux, sur internet aussi, toutefois le passage par l'écran augmente le nombre de couples avec une femme plus âgée que l'homme.

Les femmes rêvent au Prince Charmant. Et au mariage. Depuis toutes petites, elles entendent les contes et histoires pour enfants, qui leur expliquent qu'un jour leur prince viendra. Qu'elles se marieront et auront des enfants. Pendant des siècles, la place sociale des femmes a été déterminée par la nature, la gendérisation qui s'ensuivit leur a donné le rôle principal dans l'espace privé, et aux hommes le rôle dans l'espace public. Les femmes n'existaient et ne pouvaient survivre qu'en étant mariées et, idéalement, mères. Les efforts de leur famille les préparent à ces étapes, en les exposant socialement sous contrôle, en les préservant pour  les marier enfin, le but socioculturel étant ainsi atteint. La suite, les enfants, le ménage et le couple dépendent principalement de leur comportement, volonté et obéissance.

Les femmes qui avaient recours à des systèmes extérieurs à la famille pour trouver un mari étaient des orphelines, des sans-familles, celles qui n'avaient pas trouvé de mari ou qui étaient veuves, répudiées ou divorcées. Comme les autres, elles avaient besoin d'un partenaire pour être reconnues socialement, pour combler leur vide affectif, pour avoir un partenaire dans leur vieillesse, mais aussi et avant tout pour avoir des enfants, pour reprendre la suite de leur mari défunt, pour les aider à élever leurs enfants, pour faire vivre leur famille, pour les protéger dans la société,  pour ne pas être seules dans des sociétés qui valorisent la vie en couple et dévalorisent donc la vie célibataire, d'autant plus que les enfants sans mari ou les aventures  leur sont prohibés. Les femmes cherchent le prince charmant. Sur internet aussi. C'est-à-dire un homme fort, beau, grand, musclé, qui va se battre pour elles, éloigner les démons, les entretenir, les protéger, leur faire de beaux enfants. Elles recherchent majoritairement des hommes qui ont une place sociale assurée et rassurante, surtout si elles appartiennent à ces milieux ; les médecins, avocats, architectes et pilotes ont la cote virtuelle et réelle ; leur représentation cumule argent et statut respectables. Dans ce cas, on retrouve le schéma classique de la femme qui s'occupe du foyer et montre le pouvoir de l'homme, et de l'homme qui exploite l'espace public et ramène le titre et  l'argent. Ces femmes s'exposent, par curiosité parfois, mais surtout pour être chassées. Ainsi dès les débuts d'internet.

Mai 68 a fait voler le schéma classique du couple, déjà bien entamé précédemment lorsque les femmes sont arrivées dans l'espace public, ont obtenu le droit de vote, ont acquis le droit aux études supérieures, puis le droit au sexe, au plaisir, à l'orgasme, à la non reproduction, au compte bancaire personnel, au divorce. « Petites filles, on leur avait répété : grandis, épouse un médecin ou un avocat, elles ont grandi et sont devenues médecins ou avocates » explique une voix off introduisant l'histoire de  Baby boum16. Les femmes plongées dans l'espace public ont le choix d'avoir ou non un partenaire et le choix du partenaire ; leurs propres diplômes et travail leur permettent  le choix. Un homme n'est plus une nécessité, ni d'insertion sociale, ni pour survivre, ni même pour avoir ou élever des enfants, un homme devient un partenaire, social, amoureux et sexuel, il peut très bien être l'un sans l'autre.

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Ce qui change la donne des recherches de partenaires. Aux femmes inscrites dans un schéma traditionnel s'ajoutent toutes celles qui sont seules maîtres de leur vie et veulent le rester. Un homme, c'est le partenaire pour former un couple à long terme, ou le partenaire qu'on ne trouve pas dans la réalité directe, qu'on n'a pas le temps de chercher en journée vu les impératifs du travail, ou c'est celui qui fuit en face à face pénalisant le diplôme élevé, c'est celui qui correspondra à ses désirs par renseignements détaillés dans le profil, comme si la correspondance des informations était garante de la création et de la réussite du couple. Un homme, c'est aussi un partenaire de sorties, un partenaire même s'il n'a pas le même domicile, un partenaire sexuel, un partenaire pour le court terme ; un homme, ça s'essaye aussi, dans la première rencontre qui révèle les physiques dans la réalité, les odeurs, les touchers, les attitudes, le maintien, le goût, le comportement en public, etc., dans les investissements proposés ensuite et surtout dans ses désirs, capacités et compétences sexuelles. Et si ça ne marche pas, pas question de supporter quoi que ce soit ou de faire des compromis immédiats. Simplement, on efface des favoris le candidat décevant et on passe à un autre. Le système permettant d'avoir et d'entretenir un nombre illimité de favoris (contrairement aux agences matrimoniales), l'illusion de pouvoir trouver son prince d'un jour ou de toujours persiste. De cette manière, les femmes sont non seulement actrices mais également chasseurs. D'autant plus qu'il y a d'autres sites pour « aller voir », se mettre en valeur ou chercher, sites pour amitié, forums sur des sujets divers, sites de sorties, etc. Elles n'attendent pas d'être choisies comme les femmes qui attendent impatiemment un cavalier ou font tapisserie dans une soirée privée ou un thé dansant, partout où les danses se font en couple. L'anonymat assure toutes les audaces. Ces femmes ferrent, testent et gardent ou jettent. Le parallélisme avec les comportements dits masculins est évident.  « Tout en me rhabillant, je me disais que j'y étais arrivée, je venais de baiser comme un mec » dit en souriant Carrie Bradshaw17.

Les femmes sur internet useraient-elles aussi de machisme ? Ou internet les y pousserait-il ?



 
 
16 Charles Shyer, 1987
17 Sex and the City, Darren Star (1998 à 2004) à partir du roman de Candace Bushnell, Sex and the City, 1997 à 2000, tiré de ses chroniques du New York Observer (dès 1994)

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