Tolérance zéro pour les mutilations génitales féminines

Question culturelle

À ce moment, se pose la question du droit d'ingérence, au nom de quoi et de qui les pays nord-occidentaux peuvent-ils imposer leurs manières d'être, leur mode de vie et leurs valeurs aux autres ? La question culturelle est posée également, lorsque la justice européenne déclare son impuissance et son incompétence pour régler un problème dit culturel, ou lorsque des anthropologues canadiens, africains et allochtones expliquent les MGF et mettent des freins culturels au droit d'ingérence que se donnaient un peu vite les sociétés nord-occidentales21

Les mutilations, du moins c'est ainsi que les Occidentaux appellent ces pratiques (détaillées ci-dessous) qui leur sont étrangères, relèvent de traditions, souvent très ancestrales, et sont outils d'une dynamique fédératrice. Pour les cultures qui les pratiquent, il ne s'agit pas de mutilations. C'est là un des grands problèmes dans la problématique et le combat de personnes contre les MGF. La représentation de ces pratiques est une autre pierre d'achoppement. Les cultures qui les pratiquent revendiquent leur importance et leur valeur ; elles ne le font pas pour nuire aux femmes, les mères, les sœurs, les épouses, les filles, sinon elles les abandonne(raie)nt. Elles les ont créées et les conservent parce qu'elles croient à leur nécessité. Divers causes et motifs expliquent ces pratiques, j'en aborderai quelques-uns plus tard. Je voudrais juste signaler combien il est difficile d'avoir la position de l'anthropologue qui cherche à saisir, à comprendre, à déconstruire pour trouver les causes, les buts, le sens, le chemin, la structure, la réalité de telles pratiques. Combien il est difficile de ne pas juger parmi tant de personnes qui condamnent radicalement sans chercher le pourquoi. Combien il est difficile de faire bouger des choses dans un domaine aussi délicat, à la fois intime et collectif. Difficile de se fondre dans le terrain, difficile d'entendre les discours, de lire rapports et biographies, de voir des vidéos faites in situ, des sexes marqués, « défigurés ». Difficile d'appartenir à une culture aussi avantagée que la nôtre dans laquelle les femmes et les petites filles n'ont ni à redouter, ni à subir des actes aussi violents. Une culture qui permet réellement de remercier son sexe d'être ce qu'il est, et qui en rend fier, comme Ève Ensler le proclame en 1996 dans Les monologues du vagin22 ou Macha Meril dans sa Biographie d'un sexe ordinaire23.

Depuis 20 ans, je travaille sur les mutilations féminines, quelles qu'elles soient, en imaginant la souffrance très complexe de ces femmes, insoutenable de ces petites filles ; j'ai abordé les MGF par le biais de la culture, par le biais des initiations, par le biais des constructions identitaires, par le biais de la sexualité, par le biais de la famille. Je suis toujours aussi étonnée et émerveillée sur la diversité des systèmes que les êtres humains imaginent pour vivre en groupe. Ce qui ne m'empêche pas d'être interpellée continuellement par la cruauté – innocente, non voulue ou consciente – dont les êtres humains savent faire preuve, même vis-à-vis de leurs semblables immédiats. La sexualité, mystérieuse, multiple, changeante, offre un terrain favorable à ces folies des hommes24. Toujours explorée, jamais cernée, en mouvement, résistante, immuable ou influencée, dynamique, mouvante, la sexualité est prise en charge par les structures sociales, les croyances, les morales. Si le sexe est obstinément tabou dans les cultures qui pratiquent les MGF, les cultures nord-occidentales sont loin d'avoir la liberté et l'expression sexuelles espérées et réclamées en mai 68. Parler de sexe est loin de signifier connaître son sexe ; l'ignorance ou la désinformation sur la représentation et la composition biologique des organes féminins, tout comme de leur fonctionnalité, empêchent beaucoup de personnes de pouvoir imaginer ou comprendre ce que représente une clitoridectomie ou une nymphectomie25. Tant au niveau de l'acte, que des méthodes, des moyens, de la douleur, de la souffrance, physique, psychique.

Et pourtant, depuis l'Antiquité, des milliers de femmes subissent toutes sortes de mutilations sexuelles pour de nombreuses raisons parmi lesquels les coutumes26, les punitions correctrices27 et la torture28. Ce sont uniquement des MGF coutumières que traite cet article.

 

Excision, incision, introcision...

Brièvement, que sont les MGF ? ou plutôt que recouvrent ces termes ?  Les pratiques reprises sous ces termes sont à la fois très diverses et semblables à savoir qu'elles se font exclusivement sur les femmes et peuvent se rassembler presque toutes sous des vocables signifiant « couper ». Il s'agit de pratiques qui concernent bien évidemment les hommes, en tant que père c'est-à-dire possesseur de l'autorité, décideur et « marieur », en tant que frère participant à l'équilibre de la famille et du groupe, et acteur de la surveillance et du contrôle, en tant que fiancé vis-à-vis du devoir futur et de la pureté de la promise, en tant que mari faisant l'amour avec une femme mutilée, lui faisant des enfants, lui confiant l'éducation de leurs enfants et vivant avec elle le quotidien. La participation sociofamiliale des hommes n'est donc pas moins impliquée et responsable. Mais pas nécessairement dominatrice. Le type de mutilations génitales féminines dont on parle le plus, et sans aucun doute le plus connu, est l'excision, ou plutôt devrait-on dire les excisions puisqu'il y a plusieurs formes et plusieurs manières de les pratiquer. Elles ont été classées en trois catégories de base et d'après le degré reconnu de gravité médicale, une quatrième catégorie regroupe toutes celles qui restent.

L'excision la plus simple et la plus élémentaire est la sunna : on incise ou on enlève complètement le capuchon du clitoris.
L'excision proprement dite est la clitoridectomie : on fait l'ablation du clitoris. Ceci s'accompagne très souvent de l'ablation des petites  lèvres (nymphectomie).
L'infibulation appelée aussi l'excision pharaonique : c'est une clitoridectomie complète accompagnée d'une nymphectomie (clitoris et petites lèvres) qui s'accompagne de l'ablation des grandes lèvres, on suture ensuite les deux bords à vif l'un avec l'autre en laissant une petite ouverture qui permet le passage aux urines et au flux menstruel.




22 Pièce de théâtre jouée avec succès à Broadway, jouée dans plus de 130 pays. Publiée aux Editions Balland, Paris, en 1999
23 Paris, Albin Michel, 2003
24 viri
25 Différente d'une nymphoplastie, réduction médicale correctrice des petites lèvres
26 Les MGF
27 Par exemple au 19e siècle en Europe, la clitoridectomie était appliquée sur des femmes qui se masturbaient, des nymphomanes ou des hystériques pour les guérir de leur déviance, on enlevait l'élément responsable de ces excès
28 L'Inquisition fit brûler des sexes féminins au fer rouge, les médecins nazis ont testé la résistance des corps féminins en bridant les sexes et les jambes des femmes qui accouchaient ; le supplice de la bouteille a déchiré doublement des femmes lors de la guerre d'Algérie, etc

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