Le jouet métallique à Liège
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Une fois remis dans son contexte de fabrication, le jouet raconte l'histoire d'une région et son actualité. En l'occurrence, la production de jouets métalliques dans la « Cité ardente »  est liée à l'industrie métallurgique liégeoise et les thématiques sont motivées par le contexte politico-historique de la ville et du pays.

Marionnettes à tringles, soldats de plomb, machines à vapeur, locomotives en métal, fusils d'enfants, vélos... : les jouets en métal sont en plein essor au début du 20e siècle. « À côté de l'industrie lourde qui produit du fer, de l'acier, et des métaux non ferreux, existent de nombreux petits ateliers de transformation, qui confectionnent un peu de tout. Par la fabrication d'objets de tous genres,  des marmites aux clenches de portes et aux lustres, ces petits entrepreneurs font la force de la ville. Le jouet métallique se développe dans deux cadres : les ateliers mécaniques destinés à l'origine aux vélos, aux armes... et les petites fonderies assignées à la coulée d'objets de toutes sortes. Ces « travailleurs de chambre » deviennent soit des spécialistes du jouet, soit réalisent ceux-ci en complément de leur activité première » explique Robert Halleux, directeur de recherches du F.N.R.S. à l'ULg et directeur du Centre d'Histoire des Sciences et des techniques (C.H.S.T.).

Le jouet et la métallurgie à Liège

La naissance d'une nouvelle classe moyenne liégeoise durant les périodes qui précédent les deux guerres se révèle propice à l'importation de jouets, qu'ils soient allemands, plus abordables, ou français, plus luxueux. Mais l'arrivée des conflits armés va favoriser l'émergence du jouet en métal dans la région. En effet, l'industrie allemande, monopolisée par la fabrication d'armes, laisse davantage de place à l'industrie liégeoise pour se développer, d'autant plus que la population rejette les quelques jouets « fabriqués par l'ennemi ». « C'est d'ailleurs le cas, à l'approche de la Saint-Nicolas, où la petite industrie du jouet profitera de l'effet d'aubaine lié aux fêtes de fin d'année » explique Jean-Louis Boussart1. En effet, de grands magasins tels que le Grand Bazar, situé le long de la place Saint Lambert, sont obligés de faire appel à de petits fabricants locaux qui concevront des jouets peu coûteux.  Mais, bien entendu, comme le précise Robert Halleux, « cette fabrication reste une activité accessoire de la fonderie et de la mécanique. La métallurgie n'a d'impact réel sur le jouet que dans l'approvisionnement en matière première. »

Le jouet, miroir de la société

Le contexte politico-économique a également une forte influence sur le type de jouets qui sera alors réalisé à Liège. D'une part, les tensions politiques qui précèdent la Seconde Guerre mondiale,  provoquent une vague de nationalisme et poussent quelques fabricants liégeois  à confectionner, à partir de 1935, des soldats de composition2 avec des uniformes aux couleurs des armées qui vont s'affronter. Les grands magasins comme le Grand Bazar vendent de plus en plus de panoplies de militaires. D'autre part, les miniatures de trains, bateaux et machines à vapeur suivent de près l'évolution technique et esthétique des modèles réels. D'ailleurs, « une rétrospective de l'évolution du jouet permettrait de retracer toute l'histoire de l'Europe ou, dans ce cas-ci, de Liège. » explique Jean-Louis Boussart. 

Enfin, le jouet métallique liégeois est représentatif des intérêts des enfants de cette période. En effet, même s'il est principalement destiné aux petits garçons, notamment par son caractère guerrier, on notera toutefois que les différents modèles d'une petite balance à plateau fabriquée à Herstal et des dinettes en métal embouti produites à Bouillon ont fait partie des cadeaux préférés des petites filles pendant une génération, de 1945 à 1970.

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Le déclin

Après la deuxième guerre mondiale, des réglementations plus sévères quant à la sécurité des enfants provoquent la lente disparition des petits fabricants de jouets en métal. C'est ainsi que de nouvelles matières, comme le plastique, s'imposent peu à peu. Certains fabricants essaient de réutiliser les anciens moules initialement destinés au coulage du plomb et du zamak pour de nouvelles réalisations. Mais le manque de finesse dans le résultat final provoque rapidement le désintérêt des clients. L'arrivée du jouet en plastique ou caoutchouc aux finitions impeccables, en provenance principalement d'Asie, rend désormais illusoire tout espoir de concurrence.

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moule destiné à la fabrication de figurines en composition pour la firme Durso

L'exemple de l'entreprise Gils installée à Jupille est assez emblématique du sort de l'industrie de l'époque. En collaboration avec des fonderies de la région, Gils avait lancé, dès 1942, un tramway coulé en alliage d'aluminium poli. L'entreprise fabriquait aussi des modèles réduits de trains, (fidèles aux modèles réels). Mais durant les années qui suivirent directement la guerre, elle sera de plus en plus confrontée à une trop forte concurrence, qui conduira à sa fermeture.

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1re production de Gils à Jupille (1941) Un tramway électrique. Écartement 0. Figurines Durso

Ce sera également le cas de Durso et Clairon, spécialistes des figurines militaires, de la société Gasquy, qui produisait occasionnellement des voitures, camions et bateaux à l'échelle 1/43e,  de l'entreprise Tnedel  qui fabriquait des petits revolvers-jouets ou de la  firme JN Fabri, le fabricant de balances-jouets déjà évoquées.

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jouet fabriqué par Armand Ledent (la firme TNEDEL les jouets métalliques) à Liège dans les années 50

Désormais, le jouet métallique liégeois ne se trouve plus que dans les vitrines de musées (en l'occurrence celui de Ferrières) ou dans celles des collectionneurs. Un brin d'histoire qui n'est pas totalement perdu.

Marie Flaba
Décembre 2010

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Marie Flaba est étudiante en 1re année de master en Information et communication.

 

Informations utiles :
Musée du jouet
rue de Lognoul 6
4190 Ferrières
086/40 99 60
www.museedujouet.info

 
 
1 Jean-Louis Boussart, licencié en art et archéologie, collectionneur et passionné du jouet a publié Le jouet à Liège, de la belle époque aux années 50, Édition du Perron, 2001
2 Les soldats de composition sont confectionnés à base de carton, de colle et de craie. Ils sont moulés et coulés sur de fines tiges de métal.