François Weyergans, Franz et François
Quelques mois après la parution du roman Le Pitre en 1973, roman qu'il avait totalement réprouvé au point  de couper le contact avec son fils, Franz Weyergans meurt, sans qu'une réconciliation ait eu le temps de se faire. Vingt-quatre ans plus tard, François Weyergans publie Franz et François...

 

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Dans Franz et François, François Weyergans recourt encore au principe d'un narrateur ressemblant à l'écrivain et écrivant – ou, plutôt, en l'occurrence, tentant d'écrire – le livre que le lecteur est en train de lire. Le narrateur se nomme cette fois – comme ce sera encore le cas dans Trois jours chez ma mère -– François Weyergraf. La très légère différence entre le nom de l'auteur et le nom de l'énonciateur souligne d'autant mieux la proximité de l'un avec l'autre, mais surtout leur différence, et le statut, à ne pas oublier, de créature de papier de Weyergraf. Comme avec Éric Wein/écrivain, Weyergans manipule le patronyme – avec un « graf », qui est aussi « graphe » – pour mieux laisser entendre, par clin d'œil, que l'enjeu du livre réside également, ou avant tout, dans son écriture.

Une nuance toutefois se fait jour par rapport au Pitre, dans la mesure où les séances de psychanalyse ne sont plus envisagées que rétrospectivement. Le personnage a vieilli, il se rappelle – parfois en l'écrivant à la troisième personne, dans un souci de mise à distance –  certains passages de ses séances avec ses psychanalystes successifs, tout en précisant qu'au moment où il écrit l'analyse ne lui serait plus d'aucun secours : « Trente ans plus tard, François n'avait pas envie de s'entendre dire une fois de plus que l'oreiller est un ersatz du corps féminin ou qu'il attendait inconsciemment d'être puni pour tout le chagrin qu'il avait causé à ses parents.[...] On ne lui apprendrait rien. [...] Le conflit entre sensualité et amour filial, le pénis paternel intériorisé, le stade sadique-oral, il connaissait tout ça par cœur ».

Le dernier psychanalyste évoqué n'est autre que le « Grand Vizir » du Pitre, cette fois baptisé « Dr Zscharnack ». Weyergraf lui raconte le détail de ses amours multiples et tumultueuses, de ses frasques, de ses infidélités, de tout ce qu'il a commis pour ne pas être le digne fils de son père Franz Weyergraf, écrivain, critique et éditeur catholique aussi respecté de son vivant qu'oublié après sa mort – selon une trajectoire identique à celle du père de l'auteur, l'écrivain catholique Franz Weyergans. En réalité, l'acte le plus irrévérencieux qu'a pu commettre le narrateur à l'encontre de son père, ce n'est pas de perdre le foi, ce n'est pas de tromper sans trop de vergogne son épouse, mais c'est de se mettre un jour à écrire - au lieu de continuer à faire du cinéma -, c'est d'empiéter sur le domaine réservé de son géniteur si impeccablement catholique et de salir sa réputation par le biais d'un récit graveleux – où le lecteur ne manque pas de reconnaître différentes déclinaisons du Pitre, ainsi mis en abyme. Et la seule manière de parler à son père par-delà la mort – peut-être vraiment pour la première fois – sans rien taire, sans rien occulter, sans se priver de l'enguirlander sur son rigorisme, sur sa soumission à l'hypocrisie d'une époque et d'un monde révolus, la seule manière pour le narrateur de lui expliquer sa propre inconséquence, l'aberrante logique de ses propres actes, c'est d'écrire un livre à nouveau – lequel n'est cependant pas un livre-thérapie, mais une façon de rompre avec la nécessité d'écrire et avec l'ennui d'en avoir été longtemps étonnamment incapable.

 

 

Laurent Robert
Novembre 2010

 

 

 

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Laurent Robert est docteur en Langues et Lettres. Ses principales recherches portent sur la poésie française des 19e et 20e siècles et sur la littérature belge.