Japon et littérature occidentale

Les regards « japonais » d'Olivier Adam et Éric Faye

Deux romans parmi les plus enthousiasmants parus cet automne se situent au Japon, Le Cœur régulier d'Olivier Adam et Nagasaki d'Éric Faye. L'occasion de découvrir le regard qu'ils portent sur ce pays.

adam

C'est dans le cadre d'une résidence d'écriture qu'Olivier Adam a passé quatre mois au Japon. « J'y suis allé, porté par l'intuition de découvrir un Japon un peu différent de celui qu'on a l'habitude de voir, un Japon de sanctuaires, de temples, un peu mystique, où la nature est une présence vivante, habitée, enveloppante, explique-t-il. Moi qui aime la littérature, la poésie, le cinéma et la peinture de ce pays, je n'ai rien découvert, j'ai tout reconnu, tout m'a semblé d'une totale évidence, lisibilité. Et je savais que j'en ferai un livre. Si un lieu me parle, je sais que je vais écrire dessus, ma connexion à lui n'est pas anodine, ce n'est pas un décor. Quand j'ai le lieu, j'ai le livre. Un lieu, c'est un ensemble de sensations, un rythme, un écoulement du temps, une esthétique et puis ce sont des gens. Donc des millions d'histoires et de livres possibles. »

Olivier Adam, Le cœur régulier, Éditions de l'Olivier, 232 pages

Sarah, l'héroïne du Cœur régulier, a laissé en France son mari « si parfait » et ses deux enfants adolescents qu'elle sent douloureusement s'éloigner d'elle pour trouver refuge au Japon. Elle est venue faire le point sur elle-même, sur sa vie, mais surtout sur ses liens avec son frère Nathan, cet éternel adolescent rebelle, alcoolique, incapable de bâtir quelque chose, qui venait sans cesse la provoquer dans le nouvel univers qu'elle s'était construit. Et qui est mort dans un accident de voiture quelques mois auparavant. Si elle a choisi cette station balnéaire peu touristique et cernée de falaises d'où, régulièrement, se jettent des candidats au suicide, c'est justement parce que c'est de l'une d'elles que Nathan a voulu lui aussi faire le grand saut. Il a été rattrapé in extremis par Natsume, un policier à la retraite qui passe ses journées à sauver ces hommes las de vivre.

« Natsume existe, il s'appelle Yukio Shige1, j'ai découvert son portrait dans Libération, commente l'auteur. Quand j'ai réfléchi à ce livre, j'avais des images cinématographiques et une femme à bout de souffle qui, pour retrouver une respiration, s'abritait dans un petit village cerné de temples et de sanctuaires. Et puis ce portrait m'est arrivé comme un cadeau. Cet ancien policier vit au bord du Pacifique, dans un endroit connu pour ses falaises spectaculaires d'où les Japonais adorent se suicider. Arrivé à la retraite, il a tenté d'alerter les pouvoirs publics. Face au manque de réaction, il a décidé de faire le job lui-même. Il arpente les falaises et quand il repère quelqu'un sur le point de sauter, il lui met la main sur l'épaule et lui demande de lui accorder une minute. Au Japon, on l'appelle d'ailleurs Mister One Minute. Il ramène ces gens à son association et parfois chez lui. Il les écoute, les nourrit, les héberge, les aide dans leurs contacts avec leurs familles. Il semblerait qu'il en ait sauvé plus de deux cents. On est là, pour moi, dans l'héroïsme absolu, la gratuité totale. D'autant plus qu'il ne fait pas cela parce que quelqu'un de proche s'est suicidé. Il se définit lui-même comme un homme sans mystère. »

La partie « japonaise » du roman, qui alterne avec les souvenirs de Sarah, est imprégnée, dans son rythme et son écriture, de l'univers que découvre la jeune femme, les jardins, les temples, la nature. Olivier Adam rend joliment compte, par son style, de son émerveillement face à une culture à sans cesse découvrir et apprivoiser, au point d'avoir du mal à s'en détacher.

nagasaki

C'est une ville bien plus connue, mais pour de tristes raisons, qui figure le décor du nouveau roman d'Éric Faye, Nagasaki. Ce bref récit n'est pas du tout un ouvrage historique, l'action se passe de nos jours et n'a aucun lien avec la bombe atomique larguée le 9 août 1945. Son point de départ est un fait divers survenu il ya quelques années et dont la presse a rendu compte.

Les faits sont les suivants : un employé nippon, quinquagénaire et célibataire, très minutieux, voire maniaque, s'aperçoit certains jours, en rentrant chez lui, qu'un yoghourt a disparu ou que le niveau de la bouteille de jus d'orange a baissé. Pourtant, la serrure n'a pas été forcée et toutes les fenêtres sont bien fermées. Et la voisine d'en face n'a semble-t-il rien remarqué de suspect. Il décide alors de placer dans la cuisine une caméra reliée à son ordinateur afin que, depuis son bureau situé à l'autre bout de la ville, il puisse surprendre l'intrus. En fait, question d'intrus, c'est une intruse qui apparaît bientôt sur son écran, évoluant dans la cuisine comme si elle était chez elle, se préparant du thé sans le moindre trouble apparent. Les policiers appelés sur place ne trouvent rien, d'abord, avant de repérer une cachette aménagée au fond d'une armoire, dans une pièce de la maison située un peu à l'écart où son propriétaire ne se rend quasiment jamais. Cela fait en réalité plus d'un an que cette SDF vit clandestinement chez cet homme solitaire qui reçoit peu de visites.

Éric Faye, Nagasaki, Stock, 108 pages

Auteur d'une œuvre hantée par le thème de la disparition, Éric Faye ne pouvait qu'être séduit et sans doute fasciné par cette histoire. Il donne successivement la parole aux deux protagonistes. Le premier, en plus de raconter les faits tels qu'ils adviennent, témoigne de son trouble ressenti rétrospectivement à l'idée de cette proximité forcée. Le romancier se met avec talent dans sa peau, épousant ainsi sa manière de raisonner, davantage nipponne qu'européenne. L'intruse raconte ensuite, de sa prison, comment elle en est arrivée-là et finit sur une révélation qui éclaire d'un jour nouveau le choix de ce domicile.

Jamais Éric Faye ne « francise » son sujet, nous faisant au contraire pénétrer au cœur de la mentalité japonaise. Jamais il ne « trahit » ses personnages, toujours il reste fidèle à leurs manières de penser, d'agir et de réagir qui, à certains égards, sont différentes des nôtres.


 

1 Il est également présent dans un autre roman de cette rentrée littéraire, Incident de personne (Albin Michel), d'Éric Pessan.

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