Les nuits de septembre 2010, focus sur les compositeurs de nos régions

Cette année, le Festival « Les Nuits de septembre », version liégeoise du Festival de Wallonie, a choisi de mettre à l'honneur les musiques anciennes de Wallonie.

Et ce choix n'a pas été fait par hasard puisqu'en 1957, « Les Nuits de Septembre » avaient été fondées par le deuxième professeur de musicologie de l'ULg, Suzanne Clercx. Par ce Festival, elle voulait s'adresser à un public de mélomanes moins spécialisés mais aussi, et surtout, permettre aux chercheurs en musicologie de disposer d'une forme de sciences appliquées en leur donnant l'occasion de faire jouer et faire entendre les dernières découvertes en matière de musique ancienne. 53 ans, plus tard, le festival étant revenu dans le giron de l'Université, les responsables de la programmation ont choisi de rendre hommage à Suzanne Clercx et de mettre une nouvelle fois à l'honneur les musiques anciennes en programmant de très célèbres musiciens de l'époque presque totalement tombés dans l'oubli aujourd'hui.

On le sait très peu mais, dans le domaine de la musique ancienne, c'est dans nos régions que l'on a écrit l'Histoire de la musique occidentale. Chaque innovation musicale voyait le jour chez nous avant d'être adoptée par toute l'Europe. On peut même dire qu'entre 1400 et 1600, nos régions avaient la même importance que Vienne à son apogée au milieu du 18e siècle quand ont émergé Haydn, Mozart ou Beethoven. Cependant, alors que Haydn, Mozart ou Beethoven ont toujours été appréciés du grand public, la musique de la Renaissance est restée très confidentielle et ses compositeurs ont été très rapidement oubliés. Malgré tout, à leur époque, ces enfants du Pays étaient internationalement connus et reconnus et ces « Nuits de Septembre » sont une occasion pour nous de découvrir de grands noms de l'Histoire de la musique occidentale.

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Prenons le cas d'Étienne de Liège. L'Évêque Étienne de Liège (ca 850-920) fut le premier à avoir écrit des pièces géorgiennes pour l'office de Saint-Lambert. Parmi tous les offices qu'il avait composés, l'un d'entre eux fut choisi pour être adopté dans le calendrier liturgique universel. C'est-à-dire qu'un des ses offices, composé ici à Liège, a été chanté pour l'office de la Trinité pendant sept ou huit siècles, dans toute l'Europe, par toutes les paroisses et toutes les congrégations.

Johannes Ciconia connut également un destin prestigieux. Né à Liège, il s'appelait en fait Chicogne, nom qu'il s'est empressé de transformer quand il partit travailler en Italie. Il fut éduqué à Saint-Jean l'Évangéliste de Liège et partit peu après pour l'Italie où il fit une carrière telle qu'il devint un des plus grands musiciens de l'histoire de la musique. Il appartient désormais aux musiciens représentants de l'Ars Subtilior, ceux qui ont assuré le passage du Moyen Âge à la Renaissance. Il a également été reconnu comme étant l'un des premiers enfants du Nord à faire une grande carrière au Sud. « Les Nuits de Septembre » lui ont rendu hommage ce 8 septembre dernier en faisant résonner son œuvre, pour la première fois en plus de 600 ans, dans l'Église Saint-Jean l'Évangéliste.

Le destin de Matheo Romero, dont l'œuvre a été jouée à la salle philarmonique le 14 septembre dernier, est tout aussi étonnant. Le liégeois Mathieu Romarin est repéré à 14 ou 15 ans par ce que l'on appellerait aujourd'hui un chasseur de têtes (ou découvreur de talents). À cette époque, la renommée de nos régions était telle que les cours du sud envoyaient des talent scouts dans nos régions pour aller assister aux offices et repérer les petits génies. Mathieu Romarin fut donc acheté à ses parents. Il connut par la suite une immense carrière puisqu'il devint le compositeur officiel de Philippe II, Philippe III et Philippe IV d'Espagne. Il est d'ailleurs reconnu comme étant le compositeur espagnol de la fin de la Renaissance et du début de la période baroque. Paradoxalement, alors qu'il reste la grande figure de la musique espagnole du 16e, son nom est inconnu du grand public mais aussi de la plupart des mélomanes.

Orlando di Lasso

La vie de Roland de Lassus est tout aussi exceptionnelle. Ce montois, surnommé « Prince de la musique » par ses contemporains, a souvent été reconnu comme étant le plus célèbre musicien du 16e siècle. Roland de Lassus était attaché à la Cour de Bavière par un contrat géré par les plus grands banquiers de l'Europe, toutes les cours voulaient l'accueillir et son éventuel transfert se négociait comme on le ferait aujourd'hui de celui d'un joueur de football. Il décida cependant de rester au service d'Albert V de Bavière, plus intéressé par la stabilité de sa position que par l'aspect financier d'un éventuel déménagement.

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 Henri Du Mont et Daniel Danielis, qui seront joués à la Collégiale Saint-Barthélemy ce vendredi 24 septembre, ont également connu une carrière remarquable. Lorsque Louis XIV lance un concours pour l'ouverture du premier poste de Maître de la Chapelle royale, il doit faire un choix parmi des candidats venus des quatre coins de l'Europe. Il choisit finalement Henri Du Mont, qu'il garda à son service pendant plus de 20 ans. Daniel Danielis, visétois d'origine, ne remporta pas le concours mais connut également une grande carrière puisqu'après avoir étudié à Maastricht, il devient maître de musique à la Cathédrale Saint-Pierre de Vannes de Vannes jusqu'à sa mort en 1696.

Lorsque l'on découvre le destin et la carrière impressionnante de tous ces compositeurs, on ne peut s'empêcher de se demander pourquoi ils sont si rapidement tombés dans l'oubli. Christophe Pirenne a tenté de répondre à cette question en avançant le fait que ce type de musique n'aurait jamais vraiment été à la mode et ce pour plusieurs raisons. La première serait liée au mode d'écoute actuel, très éloigné de celui que requiert la musique de cette époque. Alors que nous vivons dans un monde où tout va très vite et où l'on zappe beaucoup, la musique de cette époque requiert du temps et pas mal d'exigence. La polyphonie se déploie sur de longues minutes et il faut laisser le temps aux œuvres de s'installer et aux auditeurs d'entrer dans ce système de pensée. De plus, cette musique est avant tout une musique religieuse, et, dans un monde qui se désacralise toujours un peu plus, peu de gens sont tentés d'aller écouter une messe polyphonique. On pourrait donc conclure en disant que l'une des raisons pour que de tels artistes soient presque totalement tombés dans l'oubli serait que leurs œuvres sont culturellement et religieusement très éloignées de nos modes actuelles.

Propos de Christophe Pirenne, recueillis par Vincianne D'Anna

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Christophe Pirenne enseigne la musicologie à l'Université de Liège. Ses recherches portent plus particulièrement sur la musique populaire contemporaine.

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 Vincianne D'Anna est journaliste indépendante.

 

Voir aussi l'article de Reflexions : Les Wallons à Versailles (avec, à écouter, un extrait de la Messe royale de Henry Du Mont)


 
 
Infos pratiques :                       
  • Vendredi 24 septembre - 20h00 | Liège - Collégiale Saint-Barthélemy
     Henry Du Mont
    : de la Principauté de Liège à Versailles
      Musica Favola | Stephan Van Dyck, direction
  • Jeudi 30 septembre - 20h00 | Liège - Collégiale Saint-Barthélemy
     Choeur de Chambre de Namur - Les Agrémens
      Les Agrémens | Choeur de Chambre de Namur | Leonardo García Alarcón, direction
  • Dimanche 3 octobre - 16h00 | Liège - Salle Philharmonique
     Ricercar Consort
      Maria Keohane, soprano | Stephan Mac Leod, basse | Ricercar Consort | Philippe Pierlot, direction
Site internet des Nuits de Septembre à Liège