Pierre Alechinsky : Récit d'un itinéraire pictural
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Tel un calligraphe, un bol de peinture à la main droite, Alechinsky s'est constitué un abécédaire où l'apport calligraphique se confond avec de nombreuses autres références.

Et c'est là aussi que réside l'originalité de son travail. Outre les principes issus du mouvement Cobra, du surréalisme et de l'expressionnisme, l'artiste enrichit son imagination au contact de l'art naïf, de l'imagerie populaire, des dessins d'enfants et d'aliénés, des graffitis, des croquis humoristiques, des peintures des grottes de Dordogne et d'Altamira, etc15. Son système explore toutes les confrontations possibles, jusqu'à tenter l'aventure de dialoguer avec des anonymes qui ont rédigé des titres boursiers, imprimé des documents juridiques ou dessiné des cartes géographiques devenues caduques. Au début des années quatre-vingt, il élargit son exploitation des éléments de la vie quotidienne et citadine en juxtaposant des estampages de plaque d'égout à des dessins tracés rapidement à l'encre.


Ci-dessus :  Maurice Henry, Portrait de Pierre Alechinsky, 1972 
 

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À gauche : Pierre Alechinsky, New Dehli surplombé, 1981-1982, encre sur carte de navigation atérienne, marouflé sur toile, prédelle à l'acrylique, collection privée - À droite : Pierre Alechinsky, Poivre des rues, 1985, estampage sur papier marouflé sur toile, bordure à l'acrylique, collection Ivan Alechinsky

 

Lettres à l'abandon, promesses en surplomb, plis illisibles, registres à jour enfuis, testaments sans jouisseurs, codicilles inutiles, effets de rien, certificats pour plus personne, comptes rendus d'ex-soucis, notes périmées, conventions dépassées, requêtes sans objet, convocations à jamais tardives, incompréhensibles grosses, enveloppes vides de leurs adresses, avals et extraits ancestraux : ces rescapés de la paperasse furent au détail ou par lots trouvés aux puces d'Aix-en-Provence et de Saint-Ouen, chez quelque libraire et brocanteur de Paris, de Nantes, au grenier d'un Notaire et dans les combles d'un commissariat de quartier. Raison d'une rêverie de l'encrier et du pinceau, les voici à nouvelle distance de leur expiration16.

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Il pourrait n'y avoir, dans l'art d'Alechinsky, que la démonstration d'une virtuosité visuelle et manuelle exceptionnelle. Mais les tableaux, que l'on peut voir et analyser comme des séries, s'enchaînent en réalité comme les pages d'un journal intime, à la fois drôle et tragique, à la fois cohérent et imprévisible. Au fil des années et des expositions, on demeure toujours conquis par les trouvailles d'un homme qui aime jouer avec les formes comme avec les mots. Par des modes d'association doués de sens, des aphorismes et autres jeux de langage, Pierre Alechinsky exige de nous un regard attentif, qu'on lise ce qui est écrit sur la toile ou à proximité.  Exemples : Krash à dessein (ci-contre), Le goût du gouffre, Astre et désastre, Parfois c'est l'inverse. Il n'y a qu'à mesurer l'étendue et le nombre des sous-entendus pour s'apercevoir que ces glissements de sens vont au-delà d'une recherche d'équilibre entre oppositions. Comme le souligne Michel Draguet, Alechinsky « aspire à faire surgir pour évidentes de fausses associations révélatrices d'une vérité plus profonde. Et jusque-là ignorée »17.


Ci-dessus : Pierre Alechinsky, Krach à dessein, 1973, eau-forte sur papier Japon, archives Pierre Alechinsky

 

alec007-300           Alechinsky - Astres et désastres

À gauche : Pierre Alechinsky, Le goût du gouffre, 1982, acrylique sur papier marouflé sur toile, bordure à l'encre, collection Ivan Alechinsky, © photo : Michel Nguyen - À droite : Pierre Alechinsky, Astre et Désastre, 1969, acrylique sur papier marouflé sur toile avec prédelle à l'encre, collection privée
 


15 Yau John, « Sur la ligne : l'art de Pierre Alechinsky », dans le catalogue de l'exposition Alechinsky, Galerie nationale du Jeu de Paume,  1998,  p. 26.
16 Alechinsky Pierre, L'avenir de la propriété (1972), Saint-Clément, Fata Morgana, 1992, p. 1.
17 Draguet Michel, « Quatrième mouvement. Le coup de ‘dé- ‘ et les quatre éléments » dans le catalogue de l'exposition Alechinsky de A à Y, op. cit., p. 221.

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