En mai dernier, le CRIOC (Centre de Recherche et d'Information des Organisations de Consommateurs) publiait une étude destinée à « comprendre et décrire les perceptions des francophones vis-à-vis du cinéma » et à « mesurer les comportements cinématographiques ». Intitulée « Les francophones et le cinéma », cette étude pose quelques problèmes de précision et donne très peu d'informations sur le cinéma en tant qu'objet de consommation, ce qui était pourtant l'objectif premier du centre de recherche.
L'enquête se présente comme une étude quantitative se basant sur 660 interviews (est-ce suffisant ?) et les résultats publiés parlent des genres préférés, des habitudes des spectateurs, de l'image du cinéma belge, du rapport à la technologie 3D et enfin des différents modes de diffusion. Très vite, on comprend que l'étude vise moins à enquêter sur la consommation cinématographique des francophones (de Belgique, imagine-t-on, puisque le CRIOC est belge ; mais cela n'est pas précisé dans l'étude) que sur la notoriété du cinéma belge, ce qui, au fond, n'est pas plus mal.


On apprend alors que « quasi une personne sur deux a vu C'est arrivé près de chez vous et plus d'une sur trois, Le huitième jour ». Même si ce type d'information n'est pas dénué d'intérêt, cela ne correspond pas véritablement à l'objectif annoncé : en n'énonçant que des films belges (pas nécessairement récents : le facteur temporel est d'ailleurs totalement absent de cette partie de l'étude), l'enquête semble confiner la consommation dans une bulle fermée et néglige ce qui fait du cinéma un véritable objet de consommation : les films étrangers (et notamment les grandes productions). Il aurait été intéressant, quoique relativement prévisible (comme l'ensemble de l'étude, somme toute), de comparer statistiquement, sur une période donnée, les consommations de films belges et étrangers. Tout ce qui concerne « les perceptions des francophones vis-à-vis du cinéma » ne concerne en réalité que le cinéma belge et informe moins sur la consommation ou sur le comportement que sur la culture générale : c'est un autre sujet, non moins intéressant, mais qui se contente ici de questionner la notoriété. Voir à ce sujet l'étude publiée par le CFWB.
Selon l'étude, Benoît Poelvoorde et les frères Dardenne remportent une victoire écrasante, devançant respectivement Cécile de France et Benoît Mariage.
On peut par ailleurs s'interroger sur l'intérêt des questions posées : d'une part, la plupart des informations, même si elles se présentent avec des pourcentages précis, n'apprennent pas grand-chose qu'on ne sache déjà et d'autre part, un certain nombre de questions peuvent sembler futiles, surtout lorsqu'elles sont énoncées sans comparaison avec d'autres communautés, ou d'autres années. Ainsi, selon l'étude, 44% des francophones vont boire un verre avant ou après le film contre 30% qui vont directement au cinéma et rentrent directement chez eux après la projection. Ensuite, 40% des francophones se considèrent comme novices en matière de cinéma. Et, toujours selon l'étude, « les novices sont plus souvent des femmes, des 65 ans et plus, appartenant aux groupes sociaux moyens et vivant en couple sans enfant ».
La dernière partie de l'étude, qui concerne les médias concurrents (DVD, TV, ordinateur) touche plus justement, semble-t-il, aux objectifs annoncés. D'abord, même si à nouveau il n'y a rien de surprenant, cette partie quantifie une observation assez évidente : « les francophones regardent 3 fois plus de DVD (achetés ou loués) qu'ils ne fréquentent les salles obscures ». 10 fois plus de films à la télévision, et 2 fois plus sur ordinateur (ce qui est assez surprenant quand on sait que, téléchargés légalement ou pas, les films circulent de plus en plus par le biais de l'informatique, notamment chez les jeunes ; là aussi une étude dans le temps aurait été intéressante). L'enquête tente d'ailleurs d'établir des distinctions d'âge et de classe sociale, mais reste très confuse sur la manière d'interpréter les chiffres :

Ce souci de la nuance, du détail et de la fréquence semble assez absent de l'étude et décrédibilise un certain nombre de données qui auraient été intéressantes si elles avaient été contextualisées, tant sur le plan historique que géographique. Même lorsque les questions semblent actuelles (le perfectionnement de la technologie 3D qui induit un retour au cinéma en relief), on regrette que ce qui avait été annoncé comme une étude sur les comportements cinématographiques ne soit au final qu'une prise de température rapide qui met de côté les enjeux contemporains d'un rapport (socio-économique, mais également esthétique et anthropologique) à l'image qui se déplace.
Juillet 2010

Abdelhamid Mahfoud est étudiant en 2e année de master en Arts du spectacle, finalité spécialisée en Cinéma documentaire
L'étude intégrale est disponible sur www.oivo-crioc.org/files/fr/4893fr.pdf