Manger avec les doigts

Quand on songe aux banquets médiévaux, quelques images d'Épinal nous viennent instantanément à l'esprit. On voit une bande de rudes guerriers braillant autour d'une table garnie de montagnes de rôtis dont ils s'emparent avec avidité afin de les dévorer dans un vacarme assourdissant. Autant le dire tout de suite, il est impératif de se débarrasser de ces préjugés tenaces afin d'appréhender correctement la gastronomie médiévale. Si on mangeait effectivement avec les doigts jusqu'au 16e siècle, hygiène, propreté et sobriété sont les règles des repas de cour. Aussi est-il facile d'adapter quelques recettes pour un repas d'aujourd'hui, sans fourchette.

 

Bonnes manières et courtoisie

Ce n'est certainement pas la société courtoise du Moyen Âge qui encourage à l'outrance. Pour se conformer à ses usages, il est impératif de prendre soin de son aspect extérieur, tant au niveau de l'hygiène, odeurs corporelles comprises, que de la coiffure et du costume. Il est très mal vu de rire aux éclats ou de se consumer en paroles. En outre, quelques règles de base encadrent la sociabilité à table. Les mains doivent bien entendu être d'une propreté irréprochable. Un serviteur muni d'une aiguière d'eau parfumée se charge d'ailleurs du lavement des mains des convives. Ensuite, la sobriété est de mise. Se précipiter sur les meilleurs morceaux de viande est de la plus grande grossièreté !

La manière de manger traduit très bien la volonté d'imposer des usages de table particulièrement distingués. Le repas se divise en plusieurs séquences, appelées services ou assiettes, au cours desquelles une longue série de plats est amenée à table. Le nombre impressionnant de mets confectionnés lors de ces banquets répond au désir d'offrir suffisamment de choix aux convives. Tous les plats apportés ne sont donc pas consommés, comme on l'a longtemps cru. Les restes feront le bonheur du personnel de cuisine.

Une fois les plats posés à table, les convives peuvent se servir. Mais attention ! En toute sobriété. Les morceaux de viande, délicatement découpés en forme oblongue et présentés sur des plats à larges marlis sont saisis à l'aide de deux doigts, le pouce et l'index, tandis que les trois autres sont dirigés vers le haut, afin de bien montrer qu'on ne se sert pas comme un goinfre. Finalement, ce ne sont pas les aliments qui constituent la partie impressionnante du banquet, mais bien le décor dont font partie les tapisseries, les buffets de pièces d'orfèvrerie et les entremets, tels que le cygne et la hure de sanglier crachant le feu.

Livre de chasse

 

Livre de chasse, de Gaston Phébus. Observez la position des doigts du personnage en bas à droite de l'image. Il saisit le morceau de viande avec le pouce et l'index et tient les trois autres doigts vers le haut.
 
 
détail Livre de chasse
 

Bref, lors d'un banquet aristocratique, les aliments arrivent à table prédécoupés et présentés sur des plats sans jamais se chevaucher, afin de faciliter la prise du morceau avec le pouce et l'index. Ceci relève davantage d'une attitude sobre et distinguée que des rustres comportements qu'on imagine parfois.

Cet usage particulier des doigts pour manger disparaît progressivement à partir du 16e siècle, avec l'arrivée la fourchette de Byzance, via l'Italie. À la fin du 16e siècle, les premières mentions de fourchette apparaissent dans les inventaires d'après décès liégeois. C'est toute une culture qui disparaît, et avec elle, le sens du toucher dans la gastronomie. Comment, désormais, se lamentent certains, apprécier l'onctuosité d'un beau morceau de chapon bien gras, en le saisissant avec une fourchette ? À méditer...

 

Festin de janvier du duc de Berry




Festin de janvier du Duc Jean de Berry
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Ce sont bien les objets de décor et non les plats de nourriture qui impressionnent dans cette scène de banquet. À gauche trônent les pièces d'orfèvrerie sur le buffet et à droite se trouve une nef de table, en forme de bateau, destinée à recevoir les épices. Dans un plat, de petits oiseaux rôtis sont présentés les pattes en l'air, probablement pour faciliter leur prise avec les doigts. L'écuyer tranchant s'apprête à la découpe pour son maître.

 


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