Jean-Pierre Rousseau, l'enquête montre qu'entre 1985 et 2007, la fréquentation des concerts de musique classique n'aurait pas évolué. Ressentez cela aussi à l'Orchestre philharmonique de Liège Wallonie Bruxelles ?

Jean-Pierre Rousseau (OPL) : Je peux affirmer que le taux de fréquentation des concerts n'a pas été en statu quo à l'OPL ces dernières années. J'ai, par exemple, sous les yeux les chiffres de la saison 2003-2004. Nous avions vendu à l'époque 39 200 places pour la totalité de la saison. En 2008, nous avions déjà atteint ce chiffre à la fin du premier trimestre. Je pense qu'il y a plusieurs raisons à cette augmentation, parmi elles la démultiplication de la gamme de produits que nous offrons et le bouche à oreilles.
Cependant, selon moi, ce qu'il serait intéressant de mesurer dans une enquête comme celle-là, ce n'est pas le taux de fréquentation mais plutôt l'indice de satisfaction du public par rapport à l'offre qu'on leur fait, un peu à la manière du calcul de l'audimat pour la télévision, la question serait alors : qu'aimez-vous écouter et quand ? Parce que ce qui évolue très fortement et qui constitue un des grands défis pour les opérateurs culturels, c'est le mode de choix des gens et le moment auquel ils font ce choix.
D'après l'enquête, le public des théâtres et concerts classiques est surtout un public d'âge mûr. Les jeunes se désintéressent-ils de vos institutions ?
Delphine Buchet (Théâtre de la Place et Festival « Pays de danses ») : Au Théâtre de la Place, la répartition des différentes tranches d'âge est assez homogène, les ventes les plus nombreuses se trouvent dans la catégorie « plein tarif » soit entre 30 et 55 ans. De plus, nous accueillons chaque année un public scolaire très nombreux (+/- 7.000 entrées), secondaire supérieur essentiellement. Nous proposons aussi une programmation « jeune public » qui draine un public familial assez spontanément. Les Ateliers de la Colline (qui programment les spectacles « jeune public » au TLP) mènent également un travail important vis-à-vis des écoles primaires. Nous ne pouvons donc pas, pour notre institution, confirmer les données que vous avancez.

OPL : Pour notre part, l'âge moyen des spectateurs est le même depuis 50 ans. Mais nous voyons les choses de manière très positive. Nous ne devons pas oublier que les personnes âgées sont également les meilleurs agents de promotion de la culture vis-à-vis de leurs petits enfants. Très souvent, des enfants ou des jeunes accompagnent leurs grands-parents pour découvrir les concerts. Aujourd'hui, les lieux de culture doivent redevenir avant tout des lieux sociaux dans lesquels on se sent bien et qui nous rassurent parce qu'ils offrent des points de repères.
Le public déclare que le coût est un des principaux obstacles à la fréquentation des spectacles vivants. Est-ce que vous ressentez également ce phénomène ?

Théâtre de la Place – Pays de Danses : C'est une question qui nécessiterait une réponse très nuancée. C'est un point quelque peu ambigu. Toutes les études sur le sujet démontrent que le coût n'est pas le seul frein : la barrière sociale est bien plus « prégnante ». Que constatons-nous chez nous ? Les opérations de « réabonnement » à « prix plancher » ont un énorme succès. Nous sommes passés de 25.000 spectateurs habituellement à 40.000 pour la saison 2009-2010, notamment grâce à des abonnements financièrement très intéressants. De façon générale, notre politique tarifaire est de pratiquer des prix bas. Mais nous constatons que sur des programmations plus « pointues », les opérations de promotion ou les prix bas ne suffisent pas à convaincre.
De manière générale, l'étude montre que le phénomène de l'abonnement est en net recul, 82% des personnes interrogées n'en possèdent aucun, 2% sont abonnés au théâtre et 1% possède un abonnement aux concerts classiques. Qu'en est-il pour votre institution ?
OPL : En effet, l'abonnement est un des phénomènes qui a le plus évolué ces dix dernières années. Naguère, on prenait son abonnement à la saison longtemps à l'avance. Aujourd'hui, même si la musique classique et l'opéra sont des spectacles encore marqués par les habitudes (certains spectateurs ne manqueraient pour rien au monde leur série du dimanche après-midi), on constate de plus en plus fréquemment que les gens favorisent l'achat de leur billet en last minute. En moyenne, la proportion est telle que si 300 places ont été réservées à l'avance, 150 voire 200 personnes viendront acheter un billet juste avant le spectacle.
Théâtre de la Place – Pays de Danses : Pour notre part, le nombre d'abonnés est en constante augmentation depuis trois ans. Néanmoins la tendance au « last minute » et à l'achat au ticket est effectivement en augmentation. Sans doute cela traduit-il une nouvelle façon de « consommer », de « sortir », de choisir « à la carte ».
Dans ce cas, vous devez probablement mettre de plus en plus l'accent sur la publicité de vos événements ?

OPL : C'est effectivement dans ce sens qu'il faut évoluer, on se doit aujourd'hui de communiquer sur chacun des événements (soit une centaine de manifestations par an). Mais ça demande énormément d'investissement, tant financièrement qu'en matière de ressources humaines. Pour vous donner un exemple, il y a quelques semaines, une soirée privée qui était programmée à l'OPL a été annulée. Nous avons donc décidé, deux jours avant le concert, de transformer cette soirée privée en soirée surprise, ouverte à tous et surtout gratuite. Nous avons fait circuler l'information par le biais de notre newsletter et avec un pavé dans la Meuse. La salle comptait finalement 300 personnes. Dans ce cas, la gratuité était effectivement une motivation supplémentaire, mais on peut aussi arriver à créer l'envie et ensuite à anticiper le fonctionnement des ces envies.
Avez-vous ressenti les conséquences de la crise dans la fréquentation de votre institution culturelle ?
OPL : Je ne pense pas que l'OPL ait ressenti de décélération lors de la crise. Et, à ceux qui penseraient que ce type de concerts ne concerne que les catégories de gens aisés, je répondrais que nous vendons énormément de places dans les catégories les moins chères. Aujourd'hui, on peut assister à un grand concert pour le prix d'une place de cinéma. Du point de vue de la fréquentation, je pense que les gens ne viennent pas plus souvent qu'avant mais ils sont plus nombreux à venir. C'est la raison pour laquelle nous mettons fortement l'accent sur la qualité de l'accueil. L'accueil est primordial : les gens se sentent bien et ils ont envie de revenir. On parlait à l'instant de cinéma, c'est le même phénomène. Aller au cinéma dans de mauvaises conditions vous incitera à rester chez vous la fois suivante.

Théâtre de la Place – Pays de Danses : Dans une certaine mesure, oui, nous avons un peu ressenti le phénomène de la crise. Lors du lancement du festival « Pays de danses », au mois de janvier, nous avons remarqué que le public qui avait déjà acheté un abonnement à la saison théâtrale regardait à deux fois avant de consentir des dépenses supplémentaires en cours de saison. Le prix plein des spectacles de danse n'était pourtant que de 16 €, ce qui est relativement bas si on le compare aux tarifs des autres institutions. Les ventes en last minute traduisent d'ailleurs les difficultés financières du public.
Photo : Métamorphoses / Frédéric Flamand - Ballet national de Marseille - Th. de la Place saison 2009-2010)Optimistes ou pessimistes pour l'avenir ?
Théâtre de la Place – Pays de Danses : Pour l'avenir du secteur en général, il nous semble que les difficultés ne font que commencer. Seules les petites et les très grosses structures qui témoignent cependant d'une certaine souplesse et surtout d'un réseau très solide (de partenaires, d'associations, de publics...) vont pouvoir résister. Le tout est donc de prendre aujourd'hui les bonnes décisions pour renforcer les structures et leur insertion dans les villes. C'est ce que nous développons depuis maintenant quelques années. Le Théâtre de la Place devrait ainsi pouvoir faire face aux défis qui l'attendent.
OPL : Je ne suis pas pessimiste. Je pense que les gens ont toujours une soif d'apprendre et un désir de se faire du bien et la musique classique est un des arts qui parvient à toucher directement les gens. Je pense donc que nous avons encore de beaux jours devant nous.
Propos recueillis par Vincianne D'Anna

Vincianne D'Anna est journaliste indépendante