
David Abram, The spell of the sensuous
Philosophe américain et magicien, David Abram offre un voyage philosophique extraordinaire en fondant son périple sur un pari: la question n'est pas de comprendre l'animisme, mais de comprendre comment nous sommes devenus non animistes, et ce qui s'est perdu du contact avec le monde dans cette aventure à certains égards désolante (pour ne pas dire désastreuse). On y rencontre des chamans, des animaux, Husserl et Merleau Ponty, l'histoire de l'écriture. (Vinciane Despret)
(Voir aussi Sheri Tepper)

Andrea Camilleri, Voi non sapete.
Gli amici, i nemici, la mafia, il mondo nei pizzini di Bernardo Provenzano (Éd. Mondadori)
Connu en Belgique pour la mise en scène de la série Maigret, le sicilien Camilleri est aussi mondialement célèbre par la publication de romans policiers. Avec Voi non sapete, il démontre malgré lui que l'échange épistolaire conserve encore aujourd'hui certaines fonctionnalités qui lui sont propres. Après l'arrestation de Bernardo Provenzano, Camilleri s'intéressera aux Pizzini, lettres très courtes, écrites par ce parrain de la mafia, caché dans les fermes délabrées de la campagne sicilienne pendant près de 40 ans. « Ses lettres sont à la limite de la grammaticalité, précise Paola Moreno. Provenzano est un semi-analphabète farcissant ses lettres de fautes et de tournures disloquées qui rendent le texte parfois incompréhensible. Mais il respecte toujours la mise en page et les formules épistolaires canoniques ».
La lettre, dans le cas présent, est un bon moyen de communication pour éviter la surveillance policière. La compilation et l'analyse qu'en fait Camilleri révèlent la logique du parrain. « À travers cet ouvrage apparaît au grand jour la petitesse humaine de sa personne. Il n'y a aucune sympathie de la part de l'auteur. Maintenant, l'humour et le sérieux s'alternent constamment, rendant la lecture très agréable. Camilleri a un grand sens de l'humour noir, cynique, ironique. Ainsi, des articles sérieux, traitant notamment des relations entre Provenzano et la politique italienne, côtoient des chapitres plus légers, comme celui dont s'inspire le titre de l'ouvrage. « Voi non sapete » sont en effet les mots prononcés par Provenzano lors de son arrestation. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer le sens de cette phrase. On peut y voir une menace, on peut y voir aussi une référence religieuse, prégnante au sein de la mafia. Selon Camilleri, Provenzano aurait dit à bon escient la phrase prononcée par Jésus sur la croix, " Ils ne savent pas ce qu'ils font " ... »
Un ouvrage à découvrir pour quiconque souhaite intégrer l'esprit tortueux d'un parrain de la mafia, tout en appréciant le sens de l'humour d'un Sicilien de souche. (Paola Moreno [propos recueillis par Ph. Lecrenier])

Gianfranco Contini, Carlo Emilio Gadda, Carteggio 1934-1963.
Con 62 lettere inedite (Éd. Garzanti)
« Aujourd'hui plus que jamais, observe Paola Moreno, on peut constater une prolifération d'éditions de correspondances entre intellectuels du 20e siècle. » C'est le cas de cet ouvrage, qui propose l'échange épistolaire entre le philologue Contini et l'écrivain Gadda. Un échange qui témoigne du début et de l'évolution d'une amitié entre un jeune intellectuel d'une vingtaine d'années, futur philologue et académicien de renom, et un ingénieur de 42 ans, à l'existence malheureuse, dont l'écriture est un exutoire. Une écriture difficile, controversée et souvent incomprise par ses contemporains. Leur différence d'âge et de statut est intéressante. Le contexte social l'est tout autant. Tous deux confient leur désarroi, enfermés dans une époque fasciste. Mais ce ne sont pas les seules qualités qui ont suscité l'intérêt de la philologue italienne. « Ce qui est également attachant, c'est le respect mutuel qu'ils se montrent. Il leur faut deux ans avant de se tutoyer, par exemple. Ils se rencontrent à plusieurs reprises, et ces lettres démontrent la joie réciproque qu'ils en éprouvent. C'est surtout un privilège pour nous de pouvoir les lire. De côtoyer ces deux personnages, qui apparaissent distants pour des raisons différentes. L'un, académicien à l'autorité indiscutée, et l'autre, écrivain incompris, par moments névrosé, à la fin de sa vie, accablé par des problèmes financiers. Nous pénétrons par l'intermédiaire de ce Carteggio dans le monde de ces deux intellectuels, au cœur d'un débat passionnant. Et l'édition est d'autant plus précieuse qu'on croyait 62 de ces lettres, ici publiées pour la première fois, irrémédiablement perdues. » (Paola Moreno [propos recueillis par Ph. Lecrenier])

Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues (Livre de Poche)
Le Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert est une superbe satire sociale et politique laissée inachevée par la mort de l'auteur. Imaginé dès 1850 (et en réalité déjà en germe dans certains textes « de jeunesse » de l'écrivain, à l'image de la physiologique Leçon d'histoire naturelle à propos du « Genre commis »), le projet de Dictionnaire est motivé par la volonté de mettre le bourgeois face à sa propre bêtise. Flaubert, en cherchant à éviter l'exagération caricaturale, se met en chasse des tics langagiers de ses contemporains (« chat – les appeler "tigre de salon" (chic) »), de leurs croyances erronées (« priapisme – culte de l'antiquité ») et de leurs postures artificielles (« quadrature du cercle – on ne sait pas ce que c'est, mais il faut lever les épaules quand on en parle ») pour les intégrer au cadre prescriptif du dictionnaire qui transforme ces stéréotypes en norme de pacotille. En plus d'être absolument comique, cette proto-sociologie flaubertienne, performative et prescriptive, agit directement, en forçant, aujourd'hui encore, le lecteur à interroger son propre idiolecte et la valeur des vérités qu'il croit inébranlables. (Denis Saint-Amand)