Fiction française

 

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Balzac, La Cousine Bette (Folio Classique)

Balzac écrit ce roman sur le tard avec la volonté de faire concurrence au roman feuilleton des Eugène Sue et autres Paul Féval. Et, de fait, il donne avec La Cousine Bette un récit plein de péripéties et de rebondissements. En même temps, il propose une œuvre magistrale et une analyse au vitriol de la société française sous la monarchie de Juillet. Pour ce faire, il met en scène une histoire de vengeance : paysanne alsacienne, Lisbeth Fischer a vu sa belle cousine Adeline épouser le baron Hulot pendant qu'elle-même demeurait pauvre et méprisée de tous. Elle va dès lors vouer sa vie à prendre une terrible revanche, se servant de l'érotomanie du baron et faisant de la belle Valérie Marneffe un instrument de perdition. Bette arrivera à ses fins mais se perdra elle-même. Jamais Balzac n'aura  tendu les ressorts de la passion avec autant de force. (Jacques Dubois)

 

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Nicolas Bouvier, L'usage du monde. Récit. 48 dessins de Thierry Vernet (Droz)

Grand classique de la littérature de voyage, ce récit est un petit bijou d'écriture que j'ai découvert à la faveur d'un passage à la maison Droz à Genève. C'est là qu'il se commande, dans la réédition à l'identique de l'original de 1963 que l'éditeur a ressorti de presse pour fêter son 75e anniversaire. Le monde des années 1950 que décrit Bouvier est mort, mais la peinture de l'Iran et de l'Afghanistan, notamment, fait résonner autrement des noms de lieux auxquels l'actualité a donné une triste familiarité. Les villes, les paysages sont les personnages du livre, mais les gens les traversent et sont saisis :

« ... Ce n'est pas tous les jours qu'on voit un étranger voyager au sommet d'un camion. Chrétien, en outre. Il ouvrit son couteau, m'offrit une tranche de son melon et accepta une cigarette qu'il fuma assis sur ses talons sans cesser de me dévisager. Intrigué, mais sans doute plus à l'aise avec moi qu'avec ces Hindous du Bazar de Kaboul qui ont un million de dieux dans les prunelles. Après tout, nous étions entre « gens du Livre », attestateurs de l'Unique, et cousins en religion. Qu'on se fût massacré pendant mille ans n'y changeait pas grand-chose, ici surtout où l'on s'est beaucoup entretué en famille et où le même mot : tarbour signifie à la fois cousin et ennemi. »

« Nos dieux ont bon gré mal gré un long passé commun. Le folklore afghan fourmille de références bibliques et l'Ancien Testament y est comme cousu à la vie quotidienne. On sait que Caïn a fondé Kaboul, et que Salomon a son trône sur une montagne au sud du Khyber Pass. Quant à Issa – le Christ – ils le connaissent mieux que nous, Moïse ou  Jérémie. Au jour de la mort, on le compte même au nombre des intercesseurs [...]. »

« Cet Issa dont on trouve parfois pour dix afghanis l'image en couleur au Bazar – pas crucifié, certes, mais flottant au milieu d'archanges solidement armés, ou mûrissant au trot saccadé d'un ânon son grave et généreux destin – est plus de chez eux que de chez nous. Chacun ici connaît sa pitoyable histoire, et personne qui ne s'en chagrine. C'était un doux, Issa, égaré dans un monde dur, avec la police contre Lui, et pour compagnons des lièvres bons à s'endormir, à trahir ou à détaler devant les torches des soldats. Trop doux peut-être ; ici où faire le bien aux méchants c'est comme faire le mal aux bons, il y a des mansuétudes qu'on ne peut pas comprendre. Cette façon par exemple de désarmer Pierre au Jardin des Oliviers, voilà qui passe l'entendement. Peut-être un fils de Dieu peut-il pousser aussi loin la clémence, mais certes Pierre, qui n'était qu'un homme, aurait dû faire la sourde oreille. Avec quelques Pathans à Géthsémani, la police n'aurait pas emporté l'affaire, ni Judas ses trente deniers. »

« On le plaint donc, Issa, on le respecte, mais on se garderait bien de suivre son exemple. Voyez plutôt Mahomet ! Un juste lui aussi, mais de plus : un bon général, meneur d'homme et chef de clan. La prédication de Dieu, la conquête, la famille : voilà un patron de vie qui vous donne du cœur. Mais Issa ? qui donc ici-bas veut encore vivre seul, « échouer » cloué à deux poutres entre des voleurs, sans même un frère pour vous venger ? Encore, s'il avait été victime d'un complot familial, Issa, d'une de ces affaires où l'aîné vend le benjamin pour un bout de vigne ou quelques têtes de bétail, voilà qui réveillerait l'attention. Au contraire, il a ignoré sa famille terrestre. Elle s'efface dans l'ombre, et quand par hasard il en parle, c'est durement. Pas un mot sur Marie, sa mère, qui l'a suivi jusqu'à la fin, et surtout rien sur Joseph qui a tant cheminé pour le mettre à l'abri et accepté sans murmurer des choses si étranges ; rien du côté des mâles, le côté intéressant. » (p. 356-357). (Vinciane Pirenne-Delforge) 

 

 

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Albert Camus, L'Étranger (Folio)

L'Étranger  de Camus  est certainement un des romans que j'ouvre le plus volontiers. Ce qui me plaît dans ce texte, plus encore que l'originalité de l'histoire, c'est la simplicité apparente du style et la construction générale du roman qui font de cet ouvrage, un incontournable, selon moi, de la littérature française du 20e siècle. Avec L'Étranger, Camus montre, me semble-t-il, qu'écrire un chef-d'œuvre ce n'est pas uniquement « aller le plus loin possible » dans une certaine forme de déconstruction stylistique ou narrative, mais qu'il est possible de produire un texte novateur en gardant une trame « classique » et en travaillant davantage sur l'écriture du roman. En outre, ce qui rend ce texte fascinant est l'empathie qui se tisse, se crée, au fil des pages à l'égard du personnage de Meursault, sans doute un des plus grands héros de notre patrimoine culturel, dans son refus d'en être un, justement.  (Primaëlle Vertenoeil)

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